Rétrospective 2014 : Ebola, géopolitique d’une épidémie
Selon le dernier bilan de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), le virus Ebola a fait fin 2014 plus de 7700 morts à travers le monde sur un total de 19 700 cas recensés. 99% des victimes sont mortes en Afrique de l’Ouest et plus précisément au Sierra Leone (2655 morts pour 9200 cas), au Liberia (3384 morts pour 7860 cas) et en Guinée (1654 morts pour 2630 cas). Moins mortelle que la grippe, qui cause entre 250 000 et 500 000 morts par an ou que le paludisme (entre 1,4 et 3 millions de morts par an), cette épidémie a néanmoins été très couverte médiatiquement, en raison de son importante létalité, reflétant la place accrue des questions sanitaires dans les relations internationales.
Si la découverte du virus date de fin 2013 en Guinée, le déclenchement de l’épidémie, c’est-à-dire l’augmentation rapide de son incidence, a eu lieu en mars 2014 dans ce même pays. Le virus s’est ensuite propagé au Liberia et en Sierra Leone mais aussi dans des pays hors de la zone (Espagne et Etats Unis). Cette fièvre hémorragique s’est ainsi muée en véritable crise de santé publique internationale. Ses implications sociales, humanitaires mais aussi économiques et sécuritaires ont suscité un vif intérêt des médias, décideurs politiques et de l’opinion internationale, conduisant à des prévisions plus ou moins erronées. Le bilan fin 2014 est ainsi de presque 8000 morts tandis que le Center for Disease and Prevention américain prévoyait près de 1,4 millions de morts d’ici début 2015. Cette crainte est notamment liée à l’importante létalité du virus, les personnes contaminées trouvant la mort dans 50 à 80% des cas. Sa transmission et sa propagation importante sont également dus à une faiblesse de la prise en charge des premiers cas, souvent situés dans des milieux familiaux sans isolement et moyen de détection possible ainsi qu’au maintien de nombreux rassemblements.
De l’épidémie à la « menace internationale » : entre diplomatie sanitaire et enjeux géoéconomiques
L’ensemble de ces éléments a conduit les Nations Unies a adopté la résolution 2177 du Conseil de Sécurité des Nations Unies adoptée en septembre 2014 a notamment permis la création d’une Mission des Nations unies pour la réponse d’urgence à Ebola (UNMEER). Fruit d’un important lobbying américain, cette résolution est inédite en ce que jamais une épidémie n’a été qualifiée comme telle.
L’UNMEER a pour fonction, en collaboration avec les organisations régionales (UA, CEDEAO) et les différents organismes de l’ONU, de limiter la propagation du virus, de soigner les malades, d’assurer les services de bases en lien avec l’épidémie, préserver la stabilité et prévenir le développement de la maladie. La résolution exhorte également les Etats membres de l’ONU à assister les pays affectés. A cette fin, les Etats Unis ont déployés 3000 militaires, la France a installé un hôpital militaire en Guinée, l’Union européenne s’est engagé à faire un don de 150 millions d’euros tandis que la Chine et le Royaume Uni ont fait des donations multilatérales et bilatérales, et que le Brésil a fait une dotation exceptionnelle de milliers de tonnes de denrées alimentaires. Ces actions de diplomatie sanitaire viennent en appui aux mesures prises à l’échelle nationale, notamment de fermeture de frontières afin de limiter la propagation de la maladie.
Cela a pu être perçu par certains Etats comme une double peine pour des pays déjà en difficulté et certains dirigeants ont également dénoncé la restriction des flux migratoires vers les pays occidentaux qui tendent à stigmatiser les victimes et isoler les pays concernés. Ces derniers se trouvent de plus dans des situations économiques différentes : tandis que le Nigeria a réussi à éradiquer le virus en 40 jours grâce à une action efficace (repérage des malades et des personnes potentiellement affectées, utilisation des NTIC, coordination internationale), le Sierra Leone peine toujours à enrayer sa propagation et a récemment annoncé le confinement de la région nord du pays. Ces différences liées au niveau d’investissement dans la santé publique, ne manqueront pas d’avoir un impact sur leur PIB. Selon la Banque africaine de développement une chute de 2 à 2,5 points de PIB serait à prévoir dans les trois pays les plus touchés.
Accentuant la représentation d’une Afrique aux conditions sanitaires dangereuses, et susceptible de rendre frileux les investisseurs, la propagation de cette épidémie revêt un enjeu géoéconomique certain. A l’échelle régionale cela risque également de fragiliser les dynamiques d’intégration et de coopération du fait des fermetures de frontières et des restrictions à la mobilité, comme l’a récemment illustré le débat sur la tenue de la Coupe d’Afrique des Nations. A l’échelle interne enfin, la méfiance voire le déni demeure dans certaines franges de la population, rendant les tentatives d’éradication d’autant plus difficile pour les personnels médicaux.
Si l’année 2015 permettra de dresser un bilan effectif de l’impact de cette épidémie, ses enjeux géopolitiques et géoéconomiques manifestes ainsi que la gestion multilatérale inédite mise en place, ne manqueront de placer la santé au centre des réflexions économiques, politiques mais aussi sécuritaires et stratégiques.