Au Burundi, le retour du discours ethnique inquiète
Peu médiatisée, la crise au Burundi ne faiblit pourtant pas. Au contraire, un nouveau palier semble avoir été franchi avec la désignation explicite d’un ennemi ethnique par le pouvoir en place.
Selon le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, au moins 134 meurtres ont été commis depuis avril 2015, période à laquelle les tensions ont émergé suite à l’annonce de Pierre Nkurunziza, le président actuel, de vouloir briguer un troisième mandat constitutionnellement contesté. Durant les seules journées du 3 et 4 octobre 2015, les corps de 15 civils tués par balles ont été retrouvés dans des quartiers réputés contestataires. C’est dans ce contexte tendu que l’Union Européenne (UE) a infligé des sanctions à quatre personnalités accusées de graves atteintes aux droits de l’Homme. Ce à quoi le pouvoir n’a pas manqué de réagir. Ainsi, dans une déclaration officielle, le parti CNDD-FDD (le parti présidentiel) a affirmé que l’UE avait pris des sanctions « contre quatre burundais de même ethnie Hutu, leur refusant les visas d’entrées dans cette union et gelant leurs avoirs […]. Le parti CNDD-FDD a été profondément choqué par ces sanctions qui rappellent fort bien l’Histoire malheureuse que le Burundi a vécue ».
Implicite depuis le début de la crise, l’identification d’un ennemi ethnique est désormais pleinement assumée par le président Pierre Nkurunziza et son entourage. Celui-ci semble considérer que les gains politiques qui peuvent être retirés par la mobilisation d’un discours ethnique sont supérieurs aux risques liés au rappel d’une Histoire récente douloureuse. Car dans la stratégie à haut risque mise en place par Pierre Nkurunziza, l’hypothèse d’un basculement dans la guerre civile constitue un formidable repoussoir pour ceux qui seraient tentés de rejoindre les rangs de l’opposition. Pour beaucoup, le souvenir du conflit qui avait opposé Hutus et Tutsis entre 1993 et 2006, provoquant la mort de 300 000 personnes, est encore vivace. Les centaines de milliers de réfugiés burundais, majoritairement en Tanzanie et au Rwanda, suffisent pour s’en convaincre.
Avec l’agitation du risque de basculement dans la guerre civile, le relatif mutisme de la communauté internationale constitue le deuxième allié de Pierre Nkurunziza dans sa stratégie de conservation du pouvoir. Même si les observateurs s’accordent pour dire que les élections n’ont été ni libres ni transparentes, le fait est que le CNDD-FDD a «remporté» l’élection présidentielle avec près de 70% des voix après avoir engrangé 77 sièges sur 100 lors des élections législatives et communales. Les sanctions infligées par l’Union Européenne à quatre personnalités proches du président de même que la suspension, par la Belgique, d’une partie de son aide (uniquement celle qui atterrissait directement dans les caisses de l’Etat) constituent ainsi à ce jour les réactions les plus spectaculaires. Alors que les élections ougandaises, congolaises mais aussi rwandaises se profilent, avec des tensions constitutionnelles parfois similaires, le Burundi est en train de se constituer en jurisprudence peu enthousiasmante pour le futur de la démocratie dans la région. Le «Printemps noir» (en référence aux Printemps Arabes) qu’appelait de ses voeux l’opposant à Blaise Compaoré, Emile Pargui Paré, demeure aujourd’hui au stade de voeu pieux.