Le Kivu, région où règne la « malédiction des matières premières »
Après 15 ans de guerres entre 1994 et 2009, le Kivu (RDC) subit encore les influences de ses voisins et de milices privées. Alors que le contexte politique est tendu dans la région où se multiplient les tentatives des dirigeants de modifier la constitution pour pouvoir se représenter, il est intéressant de revenir sur les différents jeux d’influence.
Le Nord et le Sud Kivu sont deux régions situées aux marges orientales de l’immense République Démocratique du Congo. La région est en guerre quasi constante depuis 1994. En effet, en 1994 Paul Kagamé met fin au génocide rwandais avec la victoire de son Armée Patriotique Rwandaise (APR) en entrant dans Kigali. Les armées dissidentes ne sont pourtant pas éliminées ou réintégrées à la nation mais fuient avec le flot de réfugiés vers le Kivu voisin. Kagamé participe alors à la création de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo-Zaïre (AFDL) en 1996 officiellement pour traquer les génocidaires et officieusement pour faire main basse sur les ressources minières congolaises. L’armée marchera en début d’année 1997 sur Kinshasa ne rencontrant qu’une faible résistance de l’armée régulière ce qui poussera à la fuite Mobutu Sese Seko, dirigeant du Zaïre depuis 32 ans. C’est donc avec l’aide du Rwanda et de l’Ouganda que Laurent-Désiré Kabila, leader de l’AFDL, a pu mettre un terme au règne de Mobutu. Toutefois, Kabila décide en 1997 de rompre les liens avec ses anciens alliés et de se défaire de l’influence étrangère en limogeant les cadres rwandais de son administration. Cette décision déclenchera la seconde guerre du Congo ou première guerre continentale africaine. Kabila sera assassiné en 2001 par un de ses gardes du corps et son fils, Joseph, le remplacera immédiatement. En 2003 la guerre se finit officiellement mais les troubles persistent. Kagamé et Kabila-fils sont toujours au pouvoir en 2015.
Une région aux sous-sols riches
La situation dans le Kivu est paradoxale. La région possède 60 à 80% des ressources mondiales de coltan (colombite-tantalite), minerai rare indispensable à la fabrication de smartphones et d’ordinateurs portables et est une des régions les plus pauvres et misérables de la planète. Les deux guerres du Congo auraient fait entre 3 et 5 millions de morts entre 1994 et 2003, principalement de faim et de malnutrition. Ces guerres ont eu pour origine, en partie, les prétentions du Rwanda et de l’Ouganda sur cette région très riche en matières premières. Un rapport publié en 2011 estimait à 68 millions de dollars les revenus de l’Etat rwandais liés au commerce de pierres précieuses, faisant de ces revenus la première source de devise du pays, alors que le Rwanda ne dispose pas de gisements aussi importants ; les produits de nombreuses mines passeraient la frontière en toute discrétion pour se faire estampiller Rwanda avant d’être exportés. Le pays est souvent accusé dans des rapports de l’ONU d’entretenir les troubles par des financements occultes de milices et d’une influence jusque dans les ministères à Kinshasa. Le pays réclame de plus une importante partie du Congo car celle-ci serait « historiquement rwandaise ».
Laurent Nkunda, général du Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP) qui a été le principal adversaire du Congo dans la guerre du Kivu (2004-2009) a souvent été accusé de servir les intérêts d’importantes sociétés occidentales. En 2012, le groupe de hackers internationaux Anonymous lance une attaque sur de grands producteurs de téléphones mobiles pour contester leur approvisionnement en coltan dans la région du Kivu. Comme en Colombie les milices créées à la base avec une ambition politique ont finalement dû trouver des moyens de survivre financièrement et se sont transformés en bandes de voyous plus ou moins bien organisées, plus ou moins soutenues par les puissances régionales quand elles pouvaient servir leurs intérêts. Toutes ces parties ne recherchant en aucun cas la fin des troubles puisque cela signifierait un contrôle plus efficace des ressources et une fin du brigandage. L’armée régulière elle-même est accusée par certains observateurs de vendre ses services au plus offrant pour compenser les faibles payes de Kinshasa. Aujourd’hui de nombreuses milices subsistent grâce au trafic de coltan qui entretient le conflit.
La région du Kivu souffre donc de deux maux que sont le manque de transparence des multinationales qui s’approvisionnent dans le Kivu et l’influence étrangère, principalement rwandaise, qui est tolérée par les puissances occidentales du fait de la participation de l’armée rwandaise à de nombreuses opérations de maintien de la paix en Afrique. Le maintien ou non au pouvoir de Joseph Kabila sera un déterminant majeur du futur de la RDC. Kabila, formé dans le maquis par un général rwandais, est soutenu par Kigali, Kampala et les milices qui savent qu’il est contrôlable. Cependant il y a fort à parier que Moïse Katumbi, ancien gouverneur du Katanga et transfuge du parti au pouvoir qui est le principal opposant à Kabila pour les élections présidentielles de 2016, s’il était élu président prendrait son indépendance face à ces influences étrangères que le peuple congolais supporte de moins en moins.