Le lointain projet d’un pont Kinshasa-Brazzaville
Même si ce sont les capitales les plus proches au monde (4 kilomètres, séparées par le fleuve Congo), Brazzaville et Kinshasa ont des destins opposés. En termes de population, de statut, de rôle national, elles se distinguent pleinement, malgré une culture commune. Alors que chaque Congo se méfie l’un de l‘autre, le projet d’un pont unissant les deux capitales ne parvient toujours pas à se concrétiser.
La culture de la sape, commune aux deux capitales, ainsi que le lingala, sont bien trop peu pour rapprocher deux villes qui s’évitent. Epicentres de leurs guerres civiles nationales, leur poids politique est indéniable, tout comme leurs oppositions, puisque tour à tour, elles ont accueilli les opposants chassés de leurs Congo respectifs. Elles se sont parfois menacées, sans jamais entrer en guerre, tant le poids des deux pays n’a rien de commun : ainsi Kinshasa et ses 12 millions d’habitants (deuxième ville la plus peuplée d’Afrique subsaharienne derrière Lagos) comptent pour trois fois la population du Congo, et pour dix fois celle de Brazzaville. Autant dire que dans l’esprit de tous, la RDC ne ferait qu’une bouchée du Congo voisin si elle le voulait. Mais le tissu culturel, historique et social commun rend cette perspective hautement fantaisiste.
Les relations commerciales et humaines entre les deux capitales sont difficiles. A Brazzaville, il n’est pas rare d’entendre que les Kinois –les habitants de Kinshasa- sont des voleurs, et les Kinoises toutes des « petites » (des filles de joie), généralisation au combien fausse mais qui décrit tout à fait ce qui unit les deux capitales : une méfiance réciproque pour beaucoup basée sur des clichés et des craintes guère réalistes. Tout comme l’argument numéro 1 avancé par ceux qui refusent tout approfondissement des relations entre les deux rives : l’idée d’une arrivée massive de Kinois vers l’autre Congo, bouleversant le tissu social et exportant la violence émaillant bon nombre de quartiers de Kinshasa.
S’éviter plus que s’attirer, le destin des deux Congo ?
Depuis de nombreuses années, certains dirigeants des deux pays souhaitent l’établissement d’un pont entre les deux rives du fleuve Congo. Le financement, de l’ordre de 400 millions d’euros, n’a pas de quoi effrayer, puisqu’une partie serait prise en charge par des acteurs extérieurs (NEPAD* notamment), même si les finances, notamment brazzavilloises, sont affaiblies par la crise pétrolière. Pour la RDC, un tel projet faciliterait l’exportation des minerais du pays, grâce au port en eaux profondes de Pointe-Noire, infrastructure dont ne bénéficie pas encore la RDC. Pour le Congo, un tel projet, c’est l’ouverture vers l’Afrique australe, qui pèse peu dans les échanges par rapport au reste de l’Afrique Centrale. C’est véritablement la perspective d’un flot humain incontrôlé qui effraie le plus les initiateurs du projet. A l’heure actuelle, seuls de vieux rafiots font la traversée pour les échanges de vivres, attisant l’économie informelle et mettant en danger les passagers sur l’un des fleuves à plus fort débit au monde. Autant dire qu’aucune infrastructure fiable n’existe à ce jour, alors que les deux pays tendent à s’ouvrir au reste du continent. Un tel projet rendrait également le corridor Tripoli-Windhoek, aujourd’hui à l’arrêt, plus réaliste.
Cependant, malgré les apports économiques et humains indéniables, renforçant l’intégration au sein de la Communauté Economique des Etats d’Afrique Centrale (CEEAC), ce projet demeure à l’arrêt. Pourtant initiateur du projet, le président Sassou N’Guesso a fait comme un pied de nez à l’autre rive du fleuve en inaugurant en grande pompe début 2016 la Corniche de Brazzaville, avec notamment un viaduc fortement inspiré de celui de Millau. Comme si les deux capitales étaient encore faites pour se narguer sans s’attirer. Le fleuve Congo demeure une barrière bien plus qu’une route…
*Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique, projet de développement dépendant de l’Union Africaine