Le Chili, nouvel eldorado de l’immigration haïtienne ?
Depuis 2014, le nombre d´Haïtiens vivant au Chili connaît une croissance exponentielle. Ils constituent la 5ème communauté étrangère du pays. Pour autant, l´intégration des Haïtiens à la société chilienne est relativement problématique. Ces derniers font face à des actes racistes et xénophobes de plus en plus nombreux. Le nouveau président élu, Sébastian Piñera, qui assume ses fonctions depuis mars dernier, a entrepris une réforme de la politique migratoire du pays. Cette dernière instaure un concept de « migration sélective » extrêmement défavorable à l´immigration haïtienne.
Le Chili et Haïti sont deux pays qui ne partagent a priori rien en commun. Ils ne parlent pas la même langue, le Chili étant une ancienne colonie espagnole et Haïti ayant connu une occupation française. Les climats sont aussi radicalement différents. Si le climat chilien est relativement tempéré (chaud en été et froid en hiver), celui d’Haïti est tropical et caribéen. Enfin si, les relations diplomatiques entre ces deux Etats sont cordiales, elles ne sont, cependant, ni continues ni exceptionnelles. Par conséquent, qu´est-ce qui pousse les Haïtiens à faire plus de 8 heures de vol (sans compter les escales) entre Port-au-Prince et Santiago ?
Tout d´abord, Haïti est l´un des pays les plus pauvres du monde avec un IDH (Indice de Développement Humain) de 0,49, soit, le plus faible d´Amérique latine. Les nombreuses catastrophes naturelles et l´instabilité économique placent le pays dans une situation de crise humanitaire permanente. La jeunesse haïtienne émigre donc en masse à la recherche d’un avenir meilleur. Le Chili occupe, lui, en termes d´IDH la 38ème place mondiale (0,84). La « Suisse » d´Amérique latine dispose d´une santé économique relativement exceptionnelle pour la région. Ses ressources naturelles (cuivre et lithium), son libéralisme économique et ses relations privilégiées avec les Etats-Unis placent le Chili dans un contexte macroéconomique relativement favorable et attractif pour l´immigration. Néanmoins, la raison la plus pertinente qui expliquerait l´attrait des haïtiens pour le Chili demeure la présence continue depuis 2004 de plus de 12 000 soldats chiliens à Haïti. Ces derniers exercent au nom de l´ONU, un mandat humanitaire, ce qui a largement soutenu le « soft power » et l´attraction du pays sud-américain auprès de la population haïtienne. D´autant plus que cette immigration a pu s´accélérer en 2016, suite à l´ouverture par la compagnie LAW d´une ligne directe et quotidienne entre les deux capitales.
Le nombre d´haïtiens vivant au Chili est passé de 1700 en 2014, à 73 000 en 2017. Cette présence de plus en plus importante n´est pas sans créer quelques remous dans la société chilienne. Cette dernière accepte mal cette immigration extra sud-américaine et les actes de racisme se multiplient à travers le pays. Les Haïtiens se répartissent dans l´ensemble des provinces chiliennes, c’est-à-dire également dans les plus hostiles comme la Patagonie, en fonction des offres d´emplois. La solidarité communautaire est donc relativement peu présente à cause de cet éclatement. De plus, si le passage du statut de touriste à celui de travailleur était facilité par l´ancienne loi migratoire, la réforme entreprise par le gouvernement de Piñera est particulièrement défavorable à l´immigration haïtienne. En effet, désormais, la demande de visa « travailleur » devra être réalisée dans le pays d´origine par l´intermédiaire du consulat chilien. Les retours à la frontière ont déjà commencé en cas de fort doute concernant la visée touristique de certains haïtiens ayant pris un vol de LAW (absence de réservation dans un hôtel, par exemple). Le transporteur est, par ailleurs, également accusé par les autorités chiliennes de favoriser l´immigration illégale.
La concurrence de l’immigration Vénézuélienne
La réforme de la loi migratoire, laquelle datait de l´ère Pinochet (1974-1990), prévoit, en outre, la régularisation de 300 000 immigrants. Les grands « gagnants » de cette politique sont les immigrants vénézuéliens. En effet, ces derniers sont de plus en plus nombreux au Chili depuis le début de la crise politique et économique dans leur pays. Ils disposent d´un statut migratoire spécifique dit de « responsabilité démocratique ». Celui-ci les autorise à rester un an dans le pays sans condition avant de pouvoir demander un visa de résidence permanent. Les liens historiques avec le Venezuela ont été évoqués pour justifier cette disposition exceptionnelle. Il faut savoir que les démocrates chiliens avaient immigré en masse au Venezuela sous la dictature de Pinochet.
Cette réforme migratoire met en place une politique de migration sélective et la configuration « raciale » de celle-ci ne peut être occultée. Les associations de défense des droits de l´homme considèrent, de plus, que cette nouvelle loi n’arrêtera pas l’immigration haïtienne mais la convertira en une immigration illégale. L´exode haïtien est ainsi devenu, au Chili, un véritable enjeu de société.