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Dissolution d’ETA : fin de la lutte politique, début de la lutte mémorielle

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Le 3 mai 2018, le groupe basque d’extrême-gauche ETA a annoncé sa dissolution et a ainsi mis fin à près de 60 ans de conflit en faveur de l’indépendance du Pays basque. Toutefois, si cette déclaration met un point final aux affrontements entre le gouvernement espagnol et l’organisation basque, elle inaugure une lutte entre deux mémoires antagonistes du conflit qui s’annonce acharnée.

La déclaration d’ETA met fin à la lutte politique avec le gouvernement espagnol, mais inaugure la lutte de mémoire entre les deux protagonistes.
La dissolution d’ETA inaugure une lutte de mémoire contre le gouvernement espagnol.

Dans un communiqué intitulé « Déclaration finale d’ETA au peuple basque » datant du 3 mai 2018, le groupe ETA (Euskadi ta Askatasuna – Pays basque et liberté) a annoncé mettre un terme à ses activités, et a ainsi prononcé publiquement sa dissolution. Une décision historique qui vient mettre un point final à un conflit armé de 59 ans en faveur de l’indépendance du Pays basque et qui a fait plus de 800 victimes lors des divers attentats commis au nom de la cause. Le groupe était très affaibli depuis déjà plusieurs années, ce qui a pu constituer un élément décisif dans son choix de prononcer sa dissolution. En effet, ETA avait déjà renoncé le 20 octobre 2011 à son activité armée. Les séparatistes basques avaient en outre dû faire face à l’arrestation de plusieurs de leurs chefs par les autorités françaises et espagnoles, précipitant ainsi leur chute. Ce fut notamment le cas d’Izaskun Lesaka, responsable de la branche militaire de l’ETA arrêtée en 2012, et d’Iratxe Sorzabal et de David Pla, considérés comme le « comité d’exécution » de l’organisation, arrêtés en 2015.

L’annonce de la cessation de toute activité de la part de l’organisation d’extrême-gauche basque ne signifie toutefois pas la fin de l’antagonisme qui l’oppose aux autorités espagnoles. En effet, les velléités d’indépendance du Pays basque sont toujours bien réelles. L’enjeu pour Madrid est de discréditer totalement l’organisation séparatiste afin d’éviter que les indépendantistes basques (qui ne sont pas forcément favorables ou liés à ETA) ne sortent renforcés par cette baisser de rideau théâtrale orchestrée par ETA. Ainsi, suite aux difficultés indépendantistes rencontrées en Catalogne, le pouvoir central espagnol souhaite éviter que le mouvement politique indépendantiste basque ne tire avantage de la fin de la lutte contre ETA. Les partis politiques indépendantistes, plutôt positionnés à gauche de l’échiquier politique, ont déjà bénéficié d’un soutien important au sein de la population basque lors des diverses élections.

Le gouvernement espagnol et ETA cherchent à faire valoir des mémoires du conflit antagonistes

Alors que cette déclaration semble clore définitivement le combat mené face aux séparatistes d’ETA, elle annonce en réalité le début d’une lutte mémorielle après six décennies de lutte armée. La reddition d’ETA n’a pas été accueillie à bras ouverts par le pouvoir espagnol. M. Rajoy a en effet déclaré qu’: « on ne leur doit rien et on ne doit les remercier de rien ». Par cette décision, ETA essaie malgré sa déroute militaire de préserver une importance politique, afin de contrebalancer la victoire de Madrid. Chacune des parties va chercher à faire prévaloir ses objectifs dans la situation post-conflit qui s’ouvre. ETA recherchera une résolution négociée et la réconciliation quand le gouvernement espagnol recherchera la victoire totale sur son adversaire. Suite à cette décision de l’organisation basque, le président Rajoy a en effet déclaré en conférence de presse que : « ETA n’a rien obtenu de la démocratie espagnole lorsqu’elle tuait des centaines de personnes. Et elle n’obtiendra rien de plus avec cette nouvelle opération de propagande »[1].

Tout l’enjeu pour ETA est de garder une place sur la scène politique afin de faire valoir sa vision du conflit. Alors que le pouvoir central espagnol voyait dans les actions d’ETA des actes terroristes, il s’agissait pour ces derniers d’une lutte politique. En conséquent, le combat qui s’annonce pour les années à venir entre ces deux protagonistes sera celui des mémoires. Pour Madrid, il n’y a qu’une mémoire valable dans ce conflit, celle des victimes d’ETA ; « c’est la seule vérité » selon M. Rajoy. A l’inverse, ETA défend la mémoire des quelques 200 personnes tuées par la police espagnole, auxquelles s’ajoutent les peines d’emprisonnement et des actes de torture. Le gouvernement espagnol cherche donc à éviter à tout prix que ces deux mémoires coexistent sur un pied d’égalité. Il veut également que soit discréditée la vision du conflit promue par ETA, et que seule soit reconnue comme légitime la souffrance que les autorités espagnoles défendent.

Cette situation d’opposition entre mémoires antagonistes correspond aux difficultés classiques rencontrées dans les périodes post-conflit. Les années à venir nous diront si l’adage selon lequel les vainqueurs écrivent l’histoire se justifie une fois de plus.

[1] Rajoy avisa, tras el anuncio del fin de ETA, de que « no habrá impunidad » y dice que « los protagonistas no pueden ser los terroristas sino las víctimas », Antena 3 TV, 4 mai 2018.

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