Les Etats-Unis et l’Inde font un pas de plus vers l’alliance militaire
Echanges cryptés, exercices militaires conjoints dès 2019… les Etats-Unis et l’Inde ont fait un grand pas en avant dans leur coopération militaire, du moins sur le papier. Pourtant, si le projet est ambitieux, nombre de points divisent encore les deux Etats. Iran et Russie sont autant de sujets qui pourraient compliquer la coopération et fragiliser la volonté commune d’endiguement de la Chine.
La venue de Mike Pompeo et Jim Mattis, respectivement secrétaire d’Etat et secrétaire à la Défense américains, le 5 septembre dernier, à New Delhi s’est soldée par la signature de deux accords majeurs. D’une part, les deux Etats se sont accordés sur la tenue d’exercices militaires terrestres, maritimes et aériens communs pour l’année 2019. D’autre part, ils ont signé le Comcasa (Compatibility Communication and Security Agreement), un accord qui permettra aux deux armées d’échanger en toute sécurité des informations. Il devrait, notamment, amener les Etats-Unis à fournir aux Indiens des informations détaillées sur les mouvements de troupes chinois, un atout qui avait manqué à New Delhi lors de la crise du Doklam, en 2017.
Contenir l’expansion chinoise
Ainsi, cet accord est directement destiné à contenir la puissance chinoise. Elle l’est, d’une part, en réduisant la vulnérabilité indienne à sa frontière septentrionale. En effet, la cuisante défaite subie par l’Inde en 1962 face à la Chine reste un traumatisme source d’inquiétudes à New Delhi. Sa position en contrebas des hauteurs himalayennes, qui sont dominées par Pékin, ne fait que renforcer cette vulnérabilité. D’autre part, la perspective d’exercices militaires conjoints doit damer le pion à la Chine à l’échelle de ce que les stratèges américains appellent la région « indopacifique ». C’est là que se rejoignent « Act East Policy » indienne et « pivot asiatique » américain. Alors que Pékin cherche à mettre la communauté internationale devant le fait accompli en imposant sa présence en mer de Chine, et renforce sa marine, des exercices communs sont un signal fort pour se réapproprier les espaces maritimes. De même que les Etats-Unis pratiquent ce type d’exercices avec la Corée du Sud et le Japon, ils cherchent à éloigner les Chinois de l’Océan Indien. A l’heure où Pékin tente d’enserrer New Delhi dans un « collier de perles » formé de ports sous son contrôle (Sittwe au Myanmar, Hambantota au Sri Lanka, Gwadar au Pakistan), des exercices militaires sont pour cette dernière le meilleur moyen pour respirer.
Toutefois, en même temps que la Chine, c’est le Pakistan qui est visé. Accusé par Washington de soutenir en sous-main les Talibans, Islamabad s’est rapproché de Pékin, notamment par le biais d’importants investissements en infrastructures. Le renforcement des relations avec l’Inde, en plus du gel de 300 millions de dollars d’aide militaire, doit mettre sous pression la république islamique. Cette dernière, hantée par le souvenir de trois guerres perdues face à l’Inde sera tentée de se jeter encore plus franchement dans les bras de son voisin chinois. Aussi, le rapprochement stratégique avec l’Inde est-il avant tout pour les Etats-Unis une façon de reconnaître la réalité et de s’y adapter, après la reconnaissance de l’Inde comme Partenaire Majeur de Défense en 2016.
Un accord fragile
Pour autant, l’accord a déjà du plomb dans l’aile. Il a d’abord fallu de fastidieuses négociations pour arriver à ce résultat car New Delhi redoutait que Washington ne pousse à cet accord que pour mieux l’espionner. Par ailleurs, l’Inde va à l’encontre de la politique de sanctions menées par les Etats-Unis. Non seulement elle importe 20% de son pétrole d’Iran, mais elle vient d’acheter à la Russie des missiles S-400, un sujet qui envenime déjà les relations turco-américaines. Si l’administration Trump s’est montrée prête à négocier, afin de sauver l’accord signé, les intérêts géopolitiques des deux puissances ne sont ainsi pas encore alignés. Mais le principal obstacle à un rapprochement durable entre Indiens et Américains réside dans la pensée stratégique indienne elle-même. En effet, l’Inde, très jalouse de son indépendance nationale, considère le statut de puissance comme une fin en soi. Elle cherchera donc toujours à conserver une indépendance stratégique à l’égard des Etats-Unis, quitte à fragiliser le front antichinois.