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Nigeria : les défis politiques du prochain président

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David Vigneron est docteur en géographie et Secrétaire général du Réseau de réflexion stratégique sur la sécurité au Sahel (2r3s, Paris). Son travail présenté ici fait écho à une note d’actualité « Nigeria, les défis d’une puissance fragile mais incontournable » qu’il a publié pour l’Institut Thomas More, disponible sur http://institut-thomas-more.org.

Muhammadu Buhari, président sortant du Nigéria.
Muhammadu Buhari, président sortant du Nigéria.

À l’approche des élections présidentielles du 16 février 2019, le Nigeria se trouve à un tournant. La convocation du corps électoral va déterminer les orientations politiques que prendra le pays pour les prochaines années. À l’heure actuelle, l’élection semble prendre la forme d’un duel entre le président sortant, Muhammadu Buhari du Congrès des Progressistes (APC) et l’ancien vice-président (1999-2007), Atiku Abubakar du Parti Démocratique du Peuple (PDP), principale formation d’opposition. Quoiqu’il advienne, le prochain président aura une responsabilité majeure : celle de poursuivre les réformes engagées ces dernières années, principalement sur les questions de la lutte contre la corruption, du contre-terrorisme et de l’intégration régionale. Des objectifs incontournables qui réclament de la stabilité dans un pays qu’on présente souvent comme « too big to fail » (« trop grand pour faire faillite »).

Poursuivre la lutte contre la corruption

Selon un rapport de l’UNODC (Office des Nations Unies contre la drogue et le crime) et du bureau national des statistiques publié en 2017, la corruption représenterait un manque à gagner de 4 milliards de dollars par an pour l’économie nigériane. Au moment de son élection en 2015, le président Buhari avait fait de la lutte contre ce fléau un de ses chevaux de bataille. Il visait en particulier le secteur des hydrocarbures et, au premier chef, les dysfonctionnements constatés au sein de la NNPC (Nigerian National Petroleum Corporation), compagnie nationale des hydrocarbures et principal pourvoyeur de devises du pays.

Cette politique de tolérance zéro a abouti à la poursuite par la Commission Nigériane contre les Délits Économiques et Financiers (EFCC, Economic and Financial Crimes Commission) d’importants dirigeants en lien étroit avec l’entreprise. À l’actif de l’EFCC, on peut citer l’inculpation de Diezani Alison-Madueke (ministre du Pétrole sous l’administration Jonathan) en février 2017, sur le fondement de détournements de fonds publics. Ces actions, de bon augure, devront être poursuivies par le prochain président qui devra les inscrire dans un cadre juridique adapté et sur le long terme.

Par ailleurs, les soupçons de corruption touchent également le candidat Atiku Abubakar. Ce dernier est suspecté d’avoir trempé dans l’affaire de la faillite de la banque PHB (Platinum Habib Bank) et d’avoir touché plus de 400 000 dollars par l’intermédiaire d’une caisse noire. Les questions de corruption demeurent donc prégnantes dans le pays et dans la campagne électorale.

Combattre la persistance de Boko Haram et les autres menaces sécuritaires

La question de la menace Boko Haram est l’un des thèmes politiques récurrents depuis quelques années. Déjà en 2015 à l’approche des précédentes élections présidentielles, la dégradation de la situation sécuritaire au nord était telle que la zone de belligérance était sous couvre-feu (États de l’Adamawa, du Borno et de Yobé). Depuis l’arrivée au pouvoir de Buhari, la situation s’est progressivement pacifiée. On constate toutefois un regain d’activité de la secte à l’approche des échéances électorales de 2019. La dernière action en date marquante, qui s’est produite le 18 novembre 2018 au camp militaire de Melete (État de Borno), a fait environ 70 morts du côté des Forces Armées Nigérianes (NAF).

Divisés, les insurgés de Boko Haram conservent une forte capacité de nuisance. Les confrontations avec les forces armées se font plus rares et empruntent la stratégie du « hit and run » (littéralement, « frappe et fuis »). Outre Boko Haram, le prochain président devra faire face à une constellation de défis sécuritaires (conflits intercommunautaires dans le centre, réémergence du séparatisme biafrais, etc.) encore non résolus.

Relations diplomatiques et intégration régionale : une politique des « petits pas »

Sur le front des relations internationales, les choix n’ont pas suivi une ligne directrice très claire depuis l’arrivée au pouvoir de Buhari, hormis le parti pris du positionnement protectionniste en matière économique. Le président nigérian a bien effectué des déplacements à l’étranger au début de son mandat (États-Unis, France, Allemagne et dans la sous-région), mais les enjeux internes (Boko Haram et la lutte contre la corruption) ont pris le pas sur les dossiers extérieurs.

En matière d’intégration régionale, le pays a mené une politique des « petits pas ». Lors d’un discours récent à Abuja, le président Buhari a déclaré que « le Nigeria ne signerait aucun traité sans en évaluer son impact sur la vie de ses citoyens ». En refusant de faire entrer le pays dans le projet de Zone de Libre-Échange Continentale (ZLEC) signé le 21 mars 2018 à Kigali par beaucoup de pays africains, Buhari a mis en application sa politique protectionniste en matière économique. Non sans renier complètement les dimensions continentales de sa diplomatie, il a fait le choix de suivre ses propres aspirations à l’autosuffisance agricole, et a diminué le poids des importations dans l’économie nationale. Il est vraisemblable que le prochain président ait à trouver un nouvel équilibre entre intégration africaine et diversification économique interne.

Avec sa population très jeune et ses nombreuses ressources naturelles, le Nigeria possède un potentiel certain. Souffrant d’un héritage économique difficile, le pays se trouve aujourd’hui face à un défi de taille : poursuivre les réformes et s’inscrire dans la stabilité qui, seule, lui permettra de réintégrer le giron des grandes puissances.

David Vigneron

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