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Égypte : la CAN sous haute-tension

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Victorieuse de ses deux premiers matchs de la compétition, l’Égypte accueille du 21 juin au 19 juillet 2019 la 32e édition de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) de football. Elle remplace ainsi le Cameroun, démis de ses fonctions en novembre dernier. Considérant la CAN comme un formidable outil de soft-power, le président Abdel Fattah al-Sissi compte sur l’organisation du tournoi pour démontrer que l’Égypte est redevenue un pays sûr et stable. Confronté à la menace terroriste et à la violence dans les stades, le pays sera cependant en alerte maximale et sous haute-sécurité pendant toute la durée de la compétition.

Tut est la mascotte de la CAN 2019 en Egypte.
Tut, la mascotte de la CAN 2019, est une référence au pharaon Toutankhamon. Vêtue des couleurs de la sélection égyptienne, Tut est coiffé d’un uræus. Les Pharaons portaient cette couronne en forme de cobra pour les protéger contre les ennemis.

L’Égypte, un second choix

L’Égypte d’Abdel Fattah al-Sissi ne devait pas accueillir la Coupe d’Afrique des Nations 2019. Vainqueur de l’édition 2017, le Cameroun s’est vu retirer l’organisation de la compétition en novembre dernier. Selon la Confédération africaine de football (CAF), le pays avait alors trop de retard dans la réalisation des infrastructures. L’instance a également évoqué des risques sécuritaires à cause du conflit avec la communauté anglophone du pays. Deux villes hôtes étaient en effet à proximité des zones en proie à la violence. La 32e édition de la compétition est ainsi la quatrième CAN consécutive à ne pas se dérouler dans le pays désigné à l’origine.

Le choix de l’Égypte pour suppléer le Cameroun n’a été confirmé qu’en janvier 2019, soit cinq mois avant le début de la compétition. Si le pays a déjà accueilli la compétition à quatre reprises, c’est la première fois que la CAN regroupera 24 équipes (au lieu de 16) et se déroulera en été. Avec plusieurs stades de plus de 20 000 places, le pays est relativement bien doté en matière d’infrastructures footballistiques. La compétition se déroule dans trois villes géographiquement proches – Le Caire, Suez, Ismaïlia – et six stades pour limiter au maximum les déplacements sur des routes parmi les plus dangereuses au monde. L’Égypte se confronte cependant à la menace terroriste et à la violence dans les stades.

Le risque terroriste

Huit ans après le Printemps arabe, où le renversement de Hosni Moubarak a laissé place à une longue période d’instabilité, la sécurité reste une préoccupation majeure pour l’Égypte. Le pays est depuis plusieurs années la cible d’attentats, souvent revendiqués par l’organisation État islamique (EI). Depuis la destitution en 2013 de Mohamed Morsi par l’armée, les forces de sécurité égyptiennes ont été la cible de nombreuses attaques djihadistes. Si la menace se concentre principalement dans la péninsule du Sinaï (Nord-est), là où le groupe connu sous le nom de “Province du Sinaï” (anciennement Ansar Baït al-Maqdis) a prêté allégeance à Daesh fin 2014, elle est toujours très présente et protéiforme.

Outre les forces de sécurité, les djihadistes visent la minorité chrétienne copte et les touristes étrangers. Depuis fin 2016, plus d’une centaine de personnes ont trouvé la mort dans des attaques contre la communauté chrétienne. Le mois dernier, un attentat à la bombe a visé un bus de touristes sud-africains près des Pyramides de Giza. En décembre, trois touristes vietnamiens et leur guide avaient été tués. En réponse, le gouvernement d’al-Sissi mène une répression sans merci contre l’extrémisme islamiste mais aussi contre toute forme d’opposition.

Afin d’organiser la compétition dans des conditions de sécurité maximales, le ministère de l’Intérieur a annoncé début juin un « vaste plan de sécurité et des procédures pour assurer le maintien de l’ordre ». Plus de 100 000 policiers et des douzaines d’unités d’intervention rapide ont été déployés à travers le pays. Les autorités ont renforcé ce dispositif suite à la mort de l’ancien président Mohamed Morsi. Les Frères musulmans, soumis à une répression sanglante depuis 2013, ont appelé à la mobilisation après son décès.

Sécuriser les stades

Les inquiétudes se concentrent également autour de la sécurité au sein des stades. Les tribunes égyptiennes ont régulièrement été le théâtre de violences et d’affrontements. En février 2012, des émeutes à Port Saïd ont fait 74 morts principalement parmi les supporters d’Al-Ahly. Suite à cet incident, les supporters ont été bannis des stades pendant une période, puis réautorisés. En février 2015, 20 supporters sont décédés dans des affrontements entre les supporters de Zamalek et les forces de l’ordre. Les autorités ont assoupli l’interdiction l’année dernière. Cependant, il existe toujours des dispositions strictes en matière de sécurité.

Les groupes de supporters ultras sont la bête noire du président Sissi, qui les a classés organisation terroriste en 2015. Anti-autorité et rompus aux émeutes, ils ont la capacité de mobiliser un grand nombre de personnes. Le football a ainsi été un lieu de tempête pour la contestation politique avant, pendant et après la révolution de 2011. Pour interdire l’accès aux supporters les plus agités, l’Égypte a mis en place un système de “permis de supporter”. Chaque spectateur doit fournir son identité aux autorités pour pouvoir acheter un billet. De même, alors que 28% de la population vit sous le seuil de pauvreté, le prix des places a délibérément été fixé à un niveau prohibitif pour accueillir un public trié sur le volet. A cause de ces mesures, alors que l’on nous avait annoncé un succès populaire sans précédent, les stades sont vides lorsque les “Pharaons” ne jouent pas.

Des enjeux économiques et de politique intérieure

L’organisation de la CAN a aussi pour le pouvoir en place des enjeux de politique intérieure et extérieure. Le président al-Sissi espère d’abord redorer son blason. Comme l’analyse la sociologue Suzanne Gribil, « depuis toujours, le football est utilisé comme façon de divertir le peuple, de le détourner des affaires d’État et de contrôler ce qui se passe au niveau sociétal ». « Du pain et des jeux », disait-on dans la Rome antique. Le football, sport préféré des égyptiens, a ainsi souvent été utilisé par le pouvoir pour améliorer son image. Sissi espère que la CAN et la star égyptienne Mohamed Sala détourneront l’attention des égyptiens de l’austérité et du chômage, alors que le gouvernement s’apprête à opérer de nouvelles coupes dans les subventions publiques.

L’objectif est aussi économique, alors que la CAN 2019 pourrait battre des records d’audience. Pendant un mois, l’Égypte sera sous le feu des projecteurs. Elle espère ainsi convaincre les touristes européens et asiatiques de revenir dans le pays. Le secteur touristique, à la peine depuis 2011, a enregistré une hausse de 16% l’an dernier. Une CAN réussie pourrait amener des dizaines de milliers de touristes en plus à l’avenir. L’Égypte s’est donné les moyens de convaincre en proposant des packages spéciaux comprenant des billets pour les matchs mais aussi des visites de sites historiques et touristiques dans chaque ville hôte.

La CAN comme outil de soft-power

Pour le gouvernement égyptien, la Coupe d’Afrique des Nations concerne moins le football que la politique étrangère. Avec l’accueil du tournoi continental, les autorités veulent montrer que l’Égypte est un pays sûr et stable. Il s’agit également de démontrer qu’elle est capable d’organiser de grands événements en un temps record. L’enjeu est en effet de taille : il s’agit d’affirmer le retour du pays sur la scène internationale.

L’Égypte, qui a négligé ses liens avec le continent africain par le passé, cherche à renforcer sa présence en Afrique. Depuis l’éviction de Morsi, Le Caire a déployé des efforts considérables pour revenir dans le giron africain. Le Caire est notamment en concurrence avec d’autres capitales africaines pour devenir le lieu de rencontre des décideurs africains. De plus, Sissi a multiplié ses visites aux pays africains depuis sa prise de fonction en 2014.

Elle considère la CAN comme une occasion inestimable d’étendre son influence sur l’ensemble du continent, alors qu’elle a succédé au Rwanda à la tête de l’Union Africaine en février . Pour Suzanne Gibril, la CAN est en effet « une opportunité de montrer la toute-puissance et la capacité d’organisation de l’Égypte et de remettre le pays sur la carte pour relancer l’économie et le tourisme. L’enjeu est aussi sécuritaire : montrer qu’elle peut organiser un tournoi majeur sans heurt. Tout a été mis en place pour donner l’apparence du retour à la normale ». Le Caire espère ainsi utiliser le football pour toucher les peuples africains et retrouver un rôle de leadership en Afrique.

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Solène VIZIER

Solène Vizier est diplômée d’un Master 2 Etudes Stratégiques. Passionnée de géopolitique, ses domaines de spécialisation concernent les mondes hispanophone et russophone, le désarmement nucléaire et la géopolitique du sport. Elle est rédactrice aux Yeux du Monde depuis avril 2019.

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