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Géopolitique du coronavirus : la chute des dominos ?

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En 1954, durant une conférence à Genève, le président américain Dwight David Eisenhower s’inquiète de la potentialité de ce qui sera ensuite qualifié de théorie des dominos. Selon celle-ci, tout changement idéologique ou politique dans un pays entraîne une contagion par imitation dans les pays voisins. A l’ère du coronavirus, le terme de contagion est plus qu’évocateur et la théorie concrétisée, l’épidémie s’étant transformée en pandémie. Quelles sont dynamiques géopolitiques dans un tel contexte ?

Le village global en métamorphose

Partie de Chine fin 2019, l’épidémie du coronavirus s’est rapidement mondialisée et transformée en pandémie (ainsi qualifiée le 11 mars 2020 par l’OMS). La majeure partie du globe est aujourd’hui atteinte, ce qui s’assimile à un effondrement des dominos. Cet effondrement affecte la mondialisation de manière inédite.

En effet, alors que la crise de 2008 se concentrait essentiellement sur le monde financier, ce sont aujourd’hui les chaînes d’approvisionnement mondialisées qui sont le point névralgique de la crise. Cela s’explique notamment par le fait que les entreprises mondialisées ont externalisé leur production. Parallèlement, elles ont favorisé des structures de flux et non plus de stocks. Par conséquent, elles sont particulièrement dépendantes des approvisionnements. Or, la situation actuelle, les fragilise amplement. Certains étant particulièrement stratégiques, notamment ceux ayant trait au matériel médical et à l’alimentation, des entreprises, associations et Etats tentent de recréer de nouvelles routes de la santé. Gel hydroalcoolique, masques, médicaments, etc. sont produits par des entreprises initialement loin de ce secteur.

Le triangle de Rodrik montre l'incompatibilité d'avoir simultanément une hypermondialisation, de la démocratie et des Etats-nations.
Le coronavirus empêche l’hypermondialisation.

La fermeture des frontières le corrobore car elle est un facteur majeur de blocage des flux. Si elles le sont principalement pour des fonctions prophylactiques et non nationalistes, le renforcement des Etats-nations est à l’œuvre. Il l’est de manière très différenciée entre les Etats, mais la tendance est globale. La nécessité d’intervenir dans des économies exsangues de liquidités et dans la vie publique, notamment par le confinement, et la gestion des flux avec l’étranger en sont les raisons principales. Il est intéressant à cet égard de reprendre le triangle d’incompatibilité de Rodrik. Selon celui-ci, dans la mondialisation, les trois pôles du triangle de droite sont incompatibles. Alors qu’aujourd’hui il est difficile de juger de l’état de la démocratie, il apparaît que le retour de l’Etat-nation est corrélé à une rétractation de l’hypermondialisation.

Civisme asiatique, égoïsme occidental : quand le soft power se transforme en smart power face au coronavirus

Un fait patent de cette crise est que la différence de comportement entre les différents pays a mené à des réponses d’efficacités variables. Ainsi, des pays comme la Corée, le Vietnam, Singapour, ont fait preuve d’un civisme exemplaire. Cela contraste éminemment avec l’individualisme et égoïsme exprimé en occident. Ainsi, le modèle culturel a considérablement joué dans la gestion de la crise. D’abord à l’échelon national, puis à l’international. Soulignons notamment, qu’alors que l’Italie fait face au vide européen pour l’aider, la Chine la soutient.

Il faut toutefois faire une distinction au sein de l’Occident. De fait, les Etats-Unis sont dans une logique totalement isolationniste et unilatérale, comme en témoignent les menaces d’arrêt de financement de l’OMS formulées par D. Trump. L’Europe, en dépit des griefs qui peuvent lui être adressés, fait preuve de velléités pour plus de solidarité. Aussi discute-t-elle ses politiques économiques et monétaires et s’engage-t-elle dans une aide de 15 milliards de dollars pour aider l’Afrique.

Ce qui initialement relève du soft power selon la terminologie de Joseph Nye, se transforme en smart power. Effectivement, la Chine et certains pays asiatiques peuvent relancer leur pays et se déployer comme aides à l’international. C’est donc la première crise de grande ampleur dont les Etats-Unis ne semblent pas prendre le leadership.

Le coronavirus comme catalyseur d’un piège de Thucydide sino-américain ?

D’aucuns y voient la réalisation d’un piège de Thucydide, selon le concept de Graham T. Allison. Il s’agit d’une situation historique au cours de laquelle une puissance dominante et une puissance émergente entrent en guerre du fait de l’inquiétude que suscite cette émergence. Tel fut le cas entre Sparte et Athènes et dans la guerre du Péloponnèse. Pourtant, cette affirmation peut sembler prématurée. En effet, la Chine et les Etats-Unis sont très interdépendants, notamment en ce qui concerne leurs marchés. Ainsi, si les économies occidentales et, en particulier, américaine, sont en difficulté, la Chine en pâtira également. Par ailleurs, une différence majeure avec la guerre du Péloponnèse est la possession d’arme nucléaire et l’indiscutable pouvoir de dissuasion qu’il en procède. Partant, c’est pour l’instant surtout un processus d’accélération du rattrapage chinois sur la puissance américaine qui se dessine.

En définitive, la crise est marquée du sceau de l’incertitude, sa profondeur, sa durée et ses conséquences demeurant encore amplement inconnues. Il est toutefois notable que, du fait de son étendue et de son architecture, une réponse individuelle ne saurait mener à une solution pérenne.

 

Sources :

https://www.foreignaffairs.com/articles/united-states/2020-04-07/pandemic-will-accelerate-history-rather-reshape-it?utm_medium=newsletters&utm_source=twofa&utm_campaign=The%20Pandemic%20Will%20Accelerate%20History%20Rather%20Than%20Reshape%20It&utm_content=20200410&utm_term=FA%20This%20Week%20-%20112017

https://www.lepoint.fr/sante/coronavirus-les-epidemies-ont-toujours-emprunte-les-routes-commerciales-25-02-2020-2364431_40.php

https://www.institutmontaigne.org/blog/coronavirus-le-grand-retour-des-nations

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/08/thomas-gomart-la-crise-due-au-coronavirus-est-la-premiere-d-un-monde-post-americain_6035934_3232.html

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Noémie GELIS

est étudiante à HEC après une classe préparatoire à Pierre de Fermat.

3 réflexions sur “Géopolitique du coronavirus : la chute des dominos ?

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