Le Kirghizistan au centre des jeux de puissances
Au cœur des rivalités de grandes puissances, le Kirghizistan se voit paré d’une multitude de ressources.
Un pilier géopolitique
Bordant le Xinjiang, le Kirghizistan représente un intérêt stratégique pour la Chine et se trouve proche des ressources pétrolifères du Kazakhstan. Composé à 65% de chaînes montagneuses, il bénéficie de réserves naturelles d’or, d’uranium, de charbon et de pétrole. La mine d’or de Kumtor, à la frontière chinoise, exploiterait ainsi l’un des plus grands gisements au monde. Le pays se dote également d’uranium et d’antimoine. Malgré ces ressources, Bichkek reste dépendant de ses voisins en matière énergétique et recherche continuellement des investisseurs pour développer son potentiel national.
Entre Washington et Pékin
Jusqu’à 2014, les Américains profitaient de la base militaire de Manas, comme lieu de transit de marchandises vers l’Afghanistan. Elle fut installée dès septembre 2001, à la suite de la déclaration de guerre américaine contre le terrorisme. Elle abritait alors environ 1000 soldats et 650 contractuels. Sa fermeture sonna, selon Philippe Migault, comme le rappel d’une perte d’influence américaine en Asie centrale. Cette base s’intégrait notamment dans le cadre de la stratégie de Barack Obama en Afghanistan. Sa fermeture précède notamment le retrait américain de février 2020. En effet, prévoyant un possible départ de l’OTAN d’Afghanistan, Bichkek s’est peu à peu tourné vers la Russie. Préoccupés par la présence croissante de la Chine dans la région, des pays comme le Tadjikistan et le Kazakhstan en font aujourd’hui de même.
Plusieurs exemples peuvent ici être notés. La participation du pays à l’Organisation du traité de sécurité collective, organisation politico-militaire centrée autour de la Russie en est un premier. Vient ensuite sa modernisation militaire, en collaboration avec cet allié dont il héberge les bases. Ce rapprochement fut entamé en 2012 par la Russie, via l’annulation d’une dette de 400 millions d’euros. En 2015, le Kirghizistan fut accueilli dans l’Union eurasiatique. Condamnée par Washington comme l’intention russe de renouer avec l’URSS, elle comprend également l’Arménie, la Biélorussie et le Kazakhstan. Les médias russes, jouissant d’une langue officielle commune aux deux pays, étendent d’autant plus leur influence.
Le retour américain
Néanmoins, selon Sanat Kouchkoumbaïev, la compétition sino-américaine réactiverait le regard de Washington sur l’Asie centrale. La stratégie américaine pour la région, sur la période 2019-2025, se compose en effet de six axes principaux :
- Supporter et renforcer la souveraineté et l’indépendance des États d’Asie centrale, individuellement et en tant que région
- Réduire la menace terroriste en Asie centrale
- Étendre et maintenir le soutien américain pour la stabilité Afghane
- Encourager la connectivité entre l’Asie centrale et l’Afghanistan
- Promouvoir la réforme de l’État de droit et le respect des droits humains
- Promouvoir l’investissement des États-Unis en Asie centrale et son développement
La compétition sino-russe
Une autre compétition reste à souligner. L’ambition russe d’une « Grande Russie » et d’une influence internationale accrue, réunissant les anciennes républiques soviétiques, se voit entrer en collision avec l’optique régionale chinoise. La Chine grandit, en effet, son influence dans la région par ses initiatives économiques. Alors que les deux puissances investissent dans son secteur énergétique, elles varient dans leur approche. La Russie demande ainsi la coopération des pays d’Asie centrale pour ses institutions régionales. La Chine la demande pour son projet de Nouvelles routes de la soie (One Belt One Road initiative). Lien entre Europe et Asie pour Pékin, zone tampon pour Moscou contre l’Ouest, la région représente un potentiel levier de négociation à l’international.
En février néanmoins, Pékin fut obligé de se séparer d’un projet d’investissement de $280 millions dans la construction d’un centre de logistique au Kirghizistan. Des manifestations locales, occasionnées par l’accroissement d’un sentiment antichinois, en représentent la cause. La Russie, de son côté, a pris le contrôle du réseau d’approvisionnement en gaz du pays, choisissant pour lui ses clients. Elle possède entièrement ou partiellement nombreuses de ses entreprises et se sert des bénéfices qu’elle en requiert comme outil de consolidation de son pouvoir domestique et source de légitimité politique.
L’intérêt iranien
L’Iran rejoint aussi le cercle des puissances posant un intérêt grandissant sur l’Asie centrale. Riche de ressources énergétiques, elle est un atout économique pour Téhéran. L’accord de libre-échange avec l’Union économique eurasiatique, par exemple, est un moyen de déjouer l’isolement économique orchestré par Washington. Il fut signé le 27 octobre 2019 et comprend l’échange de 5,1 millions de tonnes de biens, d’une valeur de 1,63 milliard d’euros. C’est pour cette même raison, et pour pallier une économie en crise, que le projet des Nouvelles routes de la soie intéresse l’Iran.