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L’Irak : entre crise politique et défi sécuritaire

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Touché par la pandémie et une crise économique importante, l’Irak fait face aujourd’hui à une crise politique majeure. Plus de 3 mois après les élections législatives, l’absence de majorité parlementaire empêche toute formation de gouvernement. La situation politique est tendue et aucun consensus entre les différentes factions politiques concurrentes, notamment au sein de la famille chiite, ne se dessine pour faire face à ce blocage institutionnel. La première réunion des députés irakiens depuis le résultat des législatives a eu lieu le 9 janvier 2022. Le président du Parlement Mohammed al-Halboussi, chef du mouvement politique sunnite Taqadom (“progrès”) a annoncé que les députés avaient un mois pour former une majorité et élire le président, qui lui-même nommera un premier ministre. Un calendrier qui paraît impossible à respecter. Outre cette crise politique, il faut ajouter que l’Irak est témoin d’un retour en force de l’Etat islamique.

La révolution d’octobre 

Image d'illustration
Des manifestations ont lieu en Irak en octobre 2019 dénonçant le taux de chômage, la corruption, la déliquescence des services public et la tutelle de l’Iran.

En 2019, des mouvements de contestation politique se sont éveillés dans le monde arabe, notamment en Irak, au Liban, en Algérie et au Soudan. Ces manifestations de masse ont sonné comme un second « printemps arabes », comme si la parenthèse de cette révolution de la « rue arabe » ne s’était jamais refermée. En effet, les problèmes qui avaient poussé les peuples à la rue en 2011 sont encore d’actualité.

En Irak,  lors de la « révolution d’octobre » en 2019, des centaines de milliers de manifestants, sunnites comme chiites, sont descendus dans les rues de Bagdad et de villes du sud pour manifester. Leurs réclamations : un renouvellement complet de la classe politique et la fin de la corruption. Cette mobilisation, concentrée à son paroxysme sur la place Tahrir de Bagdad, avait été réprimée dans le sang, faisant environ 600 morts et plus de 30 000 blessés. Lors de ces manifestations, la zone verte avait également été la cible des manifestants. C’est dans ce quartier ultra-sécurisé que se situent le parlement et le gouvernement irakiens mais également l’ambassade américaine.

Les États-Unis et l’Iran sont deux acteurs très importants en Irak. Les États-Unis sont présents en Irak depuis l’invasion en 2003. Pour rappel, c’est eux qui ont chassé Saddam Hussein et les sunnites du pouvoir afin d’y installer une coalition kurdo-chiite. L’Iran, puissance régionale et pays frontalier de l’Irak, joue quant à elle une influence capitale sur la population chiite irakienne, notamment en soutenant les milices armées chiites puissantes telles que le Hachd al-Chaabi. Les acteurs de la « révolution d’octobre » avaient insisté sur le rejet des ingérences iraniennes et américaines dans la politique intérieure de l’Irak.

Les élections législatives et les formations politiques irakiennes

Le mouvement politique nationaliste des sadristes est mené par son leader charismatique : Moqtada al-Sadr.

Un an après la révolution de 2020, en octobre 2021, le gouvernement irakien a organisé des élections législatives, reportées à plusieurs reprises, pour calmer la colère du peuple. Ces élections ont été boycottées par un pan important de la société, notamment les jeunes qui ont connu une sévère répression suite aux manifestations. Les élections se sont déroulées dans un climat sécuritaire très tendu : de nombreux candidats ont été victime d’intimidation, allant même jusqu’à des tentatives d’assassinats. L’abstention a connu un score record.

Le paysage politique en Irak est dominé par plusieurs forces antagonistes. Cependant, depuis la politique de débaasification orchestrée par les États-Unis, les chiites, majoritaires dans le pays, dominent la vie politique. Au sein de la maison chiites, deux courants  s’opposent. D’une part, les sadristes sont un mouvement politique nationaliste mené par son leader charismatique issu du clergé de Najaf, Moqtada al-Sadr. D’autre part, une coalition intitulée le Cadre de Coordination, formée essentiellement par les milices pro-Iran telles que le puissant groupe paramilitaire du Hachd al-Chaabi. A ces deux mouvements chiites concurrents, il faut ajouter les forces politiques sunnites (Azm et Taqadom) ainsi que les partis politiques kurdes, dont le PDK de Massoud Barzani. Les Kurdes ont souvent fait alliance avec les chiites depuis 2003 alors que les sunnites ont largement été marginalisés du pouvoir politique.

Le résultat des élections législatives et l’impasse politique actuelle

Le Hachd al-Chaabi (« Unités de mobilisation populaire ») est une coalition paramilitaire de milices chiites.

Moqtada al-Sadr et son bloc politique ont dominé les élections législatives en rapportant 73 sièges sur 329. La deuxième force de l’assemblée sortante, la coalition politique Fatah, façade politique du Hachd al-Chaabi, entrée au parlement en 2018 après la victoire militaire contre l’État islamique, a subi un revers. Ce résultat marque donc une défaite de l’influence iranienne dans le jeu politique irakien. Cependant, les milices pro-Iran restent un acteur incontournable de l’échiquier politique irakien. Les résultats ont été immédiatement contestés par les partis chiites pro-iraniens, dont le Hachd al- Chaabi. Ces derniers ont appelé à des manifestations, dans le but de faire pression sur la commission nationale électorale. Le 7 novembre 2021, le premier ministre Mustapha al-Kadhimi a été victime d’une tentative d’assassinat par drone dans sa résidence. Cette attaque n’a pas été revendiquée mais elle a été très certainement orchestrée par les milices pro-iraniennes.

Aujourd’hui, les forces politiques irakiennes sont dans l’incapacité de former une coalition. Or, sans coalition et sans majorité parlementaire, le Premier ministre et le gouvernement ne peuvent pas être nommés. Les deux camps chiites s’opposent et revendiquent une majorité parlementaire. D’un côté, la coalition pro iranienne formée par le parti politique du Hachd al-Chaabi s’allie avec l’ancien premier Ministre Nouri al-Maliki. En face, les sadristes tentent de rallier à leur cause les sunnites et le PKD pour former une majorité excluant les chiites pro-Iran. Ces milices paramilitaires ont été intégrées à l’appareil sécuritaire irakien. En guise d’exemple, le Hachd al-Chaabi perçoit 2,6 milliards de dollars de la part de l’État. Exclure toutes les factions politiques pro-Iran des instances décisionnelles constitue un risque d’embrasement, ces milices étant lourdement armées. L’Iran surveille de près la situation actuelle en Irak car elle souhaite continuer à influencer la politique irakienne par l’intermédiaire des milices chiites. De plus, l’Iran a tout intérêt à ce que l’Irak retrouve une stabilité politique car ce pays frontalier constitue une porte de secours économique face aux sanctions américaines.

Le défi sécuritaire irakien face au retour en force de l’État islamique

Le retour de l’E.I. en Irak, avec la libération des anciens chefs.

Cette tension politique sert l’intérêt de l’État islamique qui se reconstitue petit à petit sur le territoire syro-irakien. En effet, depuis quelques mois, Daech s’organise pour faire des attaques coordonnées, notamment sur les prisons pour permettre la libération de jihadistes. La libération d’anciens membres de Daesh emprisonnés, notamment d’anciens chefs de l’E.I,  représente la stratégie par excellence de Daesh pour se reconstruire. Les prisons sont des foyers de capacités humaines pour l’organisation jihadiste.

En Irak, les autorités avaient annoncé la défaite du califat et la fin de son emprise territoriale en 2017. Cette victoire est en partie le fruit du soutien de la coalition internationale, et des milices chiites irakiennes, en première ligne face aux jihadistes. Cependant, Daesh continue d’être à l’origine de nombreux attentats. Le plus important d’entre eux, tuant plus de 30 personnes,  a eu lieu sur la place d’un marché populaire dans une banlieue chiite  à Bagdad en juillet 2021. Plus récemment, le 18 janvier 2022, une attaque revendiquée par Daech a fait 11 morts dans une base aérienne dans la province de Diyala, à l’est du pays. En outre, les kurdes sont visés de manière récurrente dans la région de Kirkouk. La résurgence de Daech est un vrai défi pour l’Irak à l’heure où le pays présente un vide politique.

 

Programme Monde Méditerranéen et Proche Orient

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