Anatomie d’un coup d’État : étude de cas au Niger (2/4)
Après le coup d’État perpétré par le général Tiani, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sanctionna sévèrement le Niger. Une intervention militaire des États de la CEDEAO fut également à l’étude. Tout ceci était sans compter sur la constitution de l’Alliance des États du Sahel (AES).
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de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Une intervention militaire, mais dans quel cadre ?
Par un communiqué du 30 juillet 2023, la CEDEAO avertissait le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP). Au point 10 f. dudit communiqué, la Conférence indiquait « prendre toutes les mesures nécessaires […] pour rétablir l’ordre constitutionnel ». Un « délai d’une semaine » était laissé au CNSP pour répondre favorablement aux exigences de la Conférence. Elle ajoutait que « l’usage de la force » faisait partie des options.
Dans un communiqué du 10 août 2023, la CEDEAO avait tout d’abord déploré la défiance des autorités nigériennes quant à une résolution diplomatique de la crise (point 8). Elle décida donc d’activer la Force en attente de la CEDEAO et d’ordonner son déploiement au Niger (point 10, j. et k.)
La Force en attente de la CEDEAO (FAC) est composée de militaires, de policiers et de civils. Elle remplace la Brigade de surveillance du cessez-le-feu de la CEDEAO (Ecomog). La force Ecomog est intervenue dans des situations de guerre civile, au Libéria, en Sierra-Leone ou encore en Guinée-Bissau.
Une intervention militaire légale ?
Une intervention militaire pose plusieurs questions : tout d’abord, qu’en est-il du droit ? Ensuite, quels moyens militaires ?
L’article 56 du traité révisé de la CEDEAO prévoit la signature, par les États membres, d’un Protocole de Non-agression. Celui-ci explicite, en son article 2, que chaque État membre doit s’engager « à ne pas commettre, encourager ou soutenir des actes de subversion, d’hostilité, d’agression contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique des autres États membres ». Ce Protocole de Non-agression fait également mention de la Charte des Nations Unies. Cette dernière souligne l’importance de l’abstention du recours à la menace ou à l’emploi de la force et l’impératif de privilégier le règlement pacifique des différends (chapitres VI, VII et VIII).
De plus, l’article 68 du traité révisé de la CEDEAO met en place un « traitement spécial » pour les États membres insulaires et sans littoral. Ce traitement spécial est accordé aux États qui connaîtraient des « difficultés économiques et sociales ». Les États membres doivent alors leur « apporter toute autre assistance nécessaire ». C’est le cas du Niger, pays enclavé. Toutefois, cela n’a pas empêché la prise de sanctions qui frappent premièrement la population civile.
Ainsi, aucune de ces dispositions ne permet de soutenir juridiquement et de manière explicite, une intervention militaire de la CEDEAO.
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Une intervention militaire de la CEDEAO au Niger, avec quels moyens ?
Une intervention militaire poserait également la question de l’ampleur d’une telle opération. En effet, la CEDEAO ne s’est encore jamais engagée dans une opération de la sorte.
Quels moyens humains et opérationnels pourraient être mobilisés, en combien de temps et pour combien de temps ?
Le coût économique d’une opération militaire au Niger ne semble pas, non plus, avoir été pris en compte. Encore moins le « coût humanitaire », avec une population civile qui se retrouverait en première ligne de potentiels combats. C’est en ce sens que le Sénat nigérian s’est opposé à une telle intervention, le Nigéria disposant de moyens humains et opérationnels sans commune mesure en Afrique de l’Ouest. D’autres pays de la zone préfèrent utiliser la voie diplomatique, conscients des risques de déstabilisation du Sahel en cas de conflit.
Il est possible de se demander si une intervention militaire conjointe, non pas pour rétablir l’ordre constitutionnel au Niger, mais pour lutter contre le terrorisme au Sahel, n’aurait pas été davantage pertinente.
Qu’en est-il de l’Union africaine (UA) dans toute cette affaire ?
L’UA a rapidement réagi en publiant un communiqué condamnant fermement le coup d’État. Toutefois, en tant qu’organisation continentale, aurait-elle manqué à sa mission d’anticipation des crises ?
Le Conseil de paix et de sécurité (CPS) est l’organe décisionnel de l’UA sur les questions de prévention, de gestion et de règlement des conflits. Il est l’outil principal de l’Architecture africaine de paix et de sécurité (APSA). Celui-ci représente un ensemble de mécanismes de l’UA visant à promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité sur le continent.
Le CPS avait alerté à plusieurs reprises sur la détérioration de la situation. Il avait également souligné le risque d’ingérence des militaires dans les affaires politiques. Malgré ces alertes, l’ancien président Bazoum refusa toute aide car il disait « contrôler » la situation.
Lorsque des tensions apparurent entre Bazoum et Tiani, l’UA aurait pu proposer une médiation afin de désamorcer la tension. Dans un pays où l’armée est déjà intervenue dans les affaires politiques, de tels pourparlers auraient été les bienvenus. De surcroît, réclamer la démission de Tiani à son poste de commandant de la garde présidentielle était un danger pour la stabilité du pays, du fait de l’animosité entre Bazoum et lui.
L’UA avait ainsi la possibilité de nommer un envoyé spécial afin d’apporter une solution diplomatique préventive à ce conflit latent.
De la Charte du Liptako-Gourna et de l’Alliance des États du Sahel (AES)…
Le 16 septembre 2023, le Burkina-Faso, le Mali et le Niger joignaient leurs forces. Ces trois États du Sahel, dirigés par des militaires, conclurent une alliance défensive par l’intermédiaire de la Charte du Liptako-Gourna. La Charte porte le nom de la région où se rejoignent les frontières de ces trois pays. Cette région est particulièrement touchée par les offensives terroristes. Cette Charte établit l’Alliance des États du Sahel (AES), qui permet l’institution d’une « architecture de défense collective et d’assistance mutuelle » (article 2 de la Charte). L’AES permet ainsi de « lutter contre le terrorisme […] et la criminalité en bande organisée dans l’espace commun de l’Alliance » (article 4 Charte).
Outre la sécurité, la coopération économique est également visée. L’AES est la manifestation d’une volonté de coopérer en dehors des cadres habituels. Ces trois États, tous sous sanctions de la CEDEAO, ont, d’un commun accord, décidé de sortir de l’organisation en juillet 2024.
L’AES met en lumière les problématiques communes que partagent ses États membres. Ceux-ci sont enclavés, ont des problèmes sécuritaires et possèdent des économies similaires et dépendantes des ports d’autres pays. L’article 11 de la Charte laisse la porte ouverte à d’autres États « partageant les mêmes réalités géographiques, politiques, socio-culturelles qui accepte[ent] les objectifs de l’Alliance ».
De plus, l’AES s’engage à assister ses membres en cas d’attaques extérieures, dans le cadre d’un « devoir d’assistance et de secours » (article 6). Ceci est une réponse à la volonté de la CEDEAO d’organiser une intervention militaire au Niger.
L’AES devient en quelque sorte une riposte formalisée aux menaces de la CEDEAO, tout en étant également un moyen de répondre à l’échec du Groupe des 5 États du Sahel (G5 Sahel).
À la Confédération des États du Sahel
La constitution de l’AES révèle toutefois plusieurs défis. Tout d’abord, afin de lutter efficacement contre la menace terroriste, la question des moyens et des capacités militaires (dont le nécessaire appui aérien) se pose. Un questionnement conduisant certains États de l’AES, dont le Mali et le Burkina-Faso, à faire appel à la société militaire privée russe (SMP) Wagner (remplacée par Africa Corps). L’efficacité de la SMP Wagner reste toutefois à pleinement démontrer. De surcroît, des exactions lui sont reprochées par des rapports d’organisations non gouvernementales.
Un autre obstacle est l’aspect financier, qui était la principale pierre d’achoppement du G5 Sahel. L’article 10 de la Charte prévoit le financement de l’AES par les contributions des États parties. Nous pouvons nous demander si ces contributions seront suffisantes et durables.
En juillet 2024, l’AES s’est transformée en confédération des États du Sahel. L’objectif est de constituer une force de défense commune.
Enfin, un autre facteur unit et mobilise les opinions publiques des États de l’AES (et même au-delà) : la volonté de redevenir un État pleinement indépendant et souverain dans ses décisions. Cela s’est notamment exprimé par des manifestations réclamant le départ des forces militaires étrangères du territoire national. Les dirigeants militaires au pouvoir dans ces trois États ont chacun usé de cette rhétorique pour obtenir une forme de légitimité et de soutien populaire.