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Le naufrage brésilien

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Mardi 8 juillet 2014 avait lieu la première demi-finale de la Coupe du Monde 2014 opposant le Brésil à l’Allemagne, une affiche grandiose. 90 minutes après le coup d’envoi, le Brésil connaissait une défaite historique sur un score fleuve 7-1. Le pays organisateur visait la finale et bien sûr la victoire, synonyme de 6ème trophée mondial pour la Seleçao. Il s’agit donc de l’élimination prématurée d’une équipe brésilienne décapitée, jouant sans son capitaine suspendu, le défenseur central Thiago Silva, et sans sa star blessée, le prodigieux attaquant Neymar. Comble de l’humiliation : le détenteur du record du nombre de buts inscrits en phase finale de Coupe du Monde, le Brésilien Ronaldo (15 buts), est dépassé par l’Allemand Klose (16 buts) à l’issue de ce match.

Mardi dernier, la fête brésilienne s’est métamorphosée en cauchemar. L’Estadio Mineirao de Belo Horizonte est devenu le tombeau de la Seleçao. Partout au Brésil, des scènes de pleurs et d’affliction, quelques rires jaunes témoignent du malaise de la nation sud-américaine. Le Brésil est humilié chez lui, sur ses terres et devant son peuple. Une tristesse à la mesure du culte passionnel voué au ballon rond par les Brésiliens.

En effet, au Brésil, le football est une religion-passion, un objet de culte et de vénération. Il y existe une histoire mythique du football brésilien. Dans ce pays où tout le monde aime le football, ce sport s’érige en ciment sociétal, en symbole national. Un sport fédérateur qui unit une société extrêmement hétérogène et inégalitaire de plus de 200 millions de Brésiliens. Les hymnes nationaux, repris a cappella par tout un stade lors de chaque match de l’équipe brésilienne, démontrent la vigueur de cette communion entre le peuple et son équipe de football.

Mais quelles sont les conséquences de cet événement sportif ? Distinguons tout d’abord 2 échelles d’analyse. À l’échelle de l’équipe, cette déroute va engendrer la démission du sélectionneur Luiz Felipe Scolari. Puis, viendra la grande révision de l’équipe et surtout du style de jeu, marquée par la volonté de retrouver le football offensif et spectaculaire, typique du jeu brésilien, qui ravit ses supporters et fait rêver les publics du monde entier. Enfin, commencera l’ample chantier d’assainissement du secteur footballistique brésilien, gangréné jusqu’à présent par la corruption.

À l’échelle du pays, il résulte de cette lourde défaite un traumatisme collectif et historique. Le malheur de tout un peuple se cristallise dans ce match. Ce désespoir et cette tristesse risquent de faire exploser une colère sociale ascendante depuis les manifestations de 2013. En effet, jusqu’à cette demi-finale, les victoires brésiliennes servaient d’exutoire cathartique au peuple brésilien et le football faisait office de « soupape sportive de sécurité ».

On pourrait alors envisager 2 scénarios opposés et exagérés volontairement ; la réalité se trouvant probablement dans un scénario médian combinant des éléments des 2 premiers.

Voyons d’emblée le scénario du naufrage. Ce match représenterait la goutte d’eau qui fait déborder le vase. La colère, déjà présente avant le Mondial, éclaterait avec davantage de force et des manifestations tourneraient à l’émeute voire à la guerre civile dans les favelas des métropoles du pays. Dilma Roussef serait désignée comme le bouc-émissaire de cette défaite et plus largement du mauvais management du pays. Dans un contexte intenable, sa côte de popularité connaitrait alors une chute irrémédiable à l’approche des élections présidentielles et le Brésil plongerait dans une crise.

Maintenant, le scénario de l’électrochoc (un mal pour un bien). Il s’agirait de tirer les leçons de cet échec cuisant et de rebondir. La défaite serait utilisée comme un tremplin vers l’émergence d’un nouveau Brésil. Dans ce moment de recueillement requérant un nouveau besoin d’unité nationale, Dilma Rousseff, faute de pouvoir surfer sur l’engouement suscité par une victoire brésilienne, profiterait de l’affliction générale pour consoler le peuple brésilien grâce à des mesures sociales exceptionnelles. Elle assurerait ainsi sa réélection en octobre et engagerait les réformes nécessaires et tant attendues en termes d’infrastructures de base et d’aide sociale pour répondre aux besoins de la société brésilienne : écoles, hôpitaux, immobilier salubre, emploi, sécurité sociale, système de retraite efficace,… Ces réformes structurantes devraient alors permettre au gouvernement brésilien de renforcer sa crédibilité à l’international (diplomatie), d’augmenter son soft power et de redorer son blason grâce à son sport power via l’organisation des Jeux Olympiques d’été à Rio de Janeiro en 2016.

En somme, ce match constitue une date clé dans l’histoire du football mondial. Peut-être marquera-t-il l’histoire du Brésil au-delà du sport et déclenchera-t-il un vaste bouleversement social et politique. Quoiqu’il advienne, le 8 juillet 2014 restera gravé pour longtemps dans les mémoires brésiliennes.

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Rémy SABATHIE

Secrétaire général et rédacteur géopolitique pour Les Yeux du Monde, Rémy Sabathié est analyste en stratégie internationale et en cybercriminalité. Il est diplômé de géopolitique, de géoéconomie et d’intelligence stratégique.

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