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Les néo-populismes latino-américains

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Pendant le XXe siècle, l’Amérique latine a constitué une terre de choix pour le développement de différentes formes de populismes, étatiques comme libéraux, à partir des (nombreux) gouvernements autoritaires qui se sont succédés au pouvoir. Malgré l’insertion du continent dans la mondialisation, ces populismes sont encore loin d’avoir disparu en ce début de XXIe siècle.

Hugo Chávez

En Amérique latine, peut-être plus qu’ailleurs, deux formes particulières de populismes ont régné au cours du XXe siècle, en particulier à partir des figures emblématiques comme Perón en Argentine par exemple. Le premier, qui s’est développé à partir de l’entre-deux guerres, peut être qualifié de « populisme étatiste », dans la mesure où étaient appliqués le protectionnisme en matière économique et l’autoritarisme en matière sociale et politique. Le second, un « populisme libéral », a surgi dans au début des années 1990, période à laquelle les dictatures se sont progressivement effondrées et l’économie du continent s’est ouverte à la mondialisation. Cependant, les difficultés rencontrées par ces deux modèles, en particulier sur les terrains économiques et sociaux, ont réduit le populisme au champ du discours politique pour accéder ou se maintenir au pouvoir. L’on entendra ici par discours populiste une communication où l’émetteur fait primer l’émotion (peurs, souffrances, rêves, etc…) de son auditoire sur la raison et construit une rhétorique binaire de type bien/mal – ami/ennemi. L’objectif est de construire un ennemi absolu qui focalisera l’attention en tant que source des maux de la société, pour masquer la complexité des facteurs ayant abouti à la situation décrite.

Rebond et crise des populismes de gauche

Au début de siècle le populisme « de gauche » a connu un rebond, avec l’élection de gouvernants se revendiquant de la révolution bolivarienne, comme au Venezuela ou en Bolivie. De plus, c’est l’ensemble de l’Amérique du Sud qui passa à gauche à cette période, le reste des pays élisant des gouvernements sociaux-démocrates comme au Chili ou au Brésil. L’Argentine a sans doute constitué la synthèse la plus évidente de ces deux dimensions, incarnée par les époux Kirchner, eux-mêmes héritiers du mouvement péroniste. Or, depuis le milieu des années 2010, un nouveau cycle est à l’œuvre  : le cycle de forte croissance liée à la demande chinoise et à la hausse des prix des matières premières exportées par le continent (pétrole, viande, minerais, céréales) s’est brutalement interrompu et deux événements majeurs ont déstabilisé la matrice idéologique du populisme de gauche, à savoir la mort d’Hugo Chávez et le (fragile) dégel entre les États-Unis et Cuba.

Depuis, les libéraux ont emporté la quasi-totalité des élections, comme en Argentine ou au Pérou. À cela il faut ajouter la grave crise traversée par le Brésil et le Venezuela, ayant balayé Dilma Rousseff et poussant l’héritier de Chávez, Nicolás Maduro, dans une position intenable. Le cycle de croissance avait permis d’occulter temporairement les faiblesses structurelles des économies latino-américaines, mais le retournement de conjoncture a permis de se rendre compte que ces gouvernements n’avaient pas su faire les réformes nécessaires à la diversification et à la solidification de leurs économies nationales. Le cas le plus emblématique étant évidemment celui du Venezuela, qui s’est effondré avec la chute des cours du pétrole. D’où un retour au discours populiste pour occulter ces aspects, comme l’antiaméricanisme proféré par Maduro.

Bolsonaro, le Trump Brésilien

Plus que jamais, on peut se rendre compte avec l’exemple vénézuélien que le populisme, qu’il soit étatique ou libéral, ne possède plus d’autre substance que celle de vouloir maintenir un ordre établi. C’est pour cela qu’il est important de ne pas analyser la situation des populismes latino-américains américains en utilisant une grille de lecture calquée sur le clivage politique tel qu’il existe en France, d’autant que les dernières élections présidentielles ont démontré la fragilité de ce clivage. La vague du populisme conservateur, incarnée avec fracas par Donald Trump, est également à l’œuvre. On peut citer par exemple citer Daniel Ortega au pouvoir au Nicaragua, qui traverse également une période de turbulences, ou encore Sebastián Piñera, déjà président du Chili de 2010 à 2014, est annoncé comme le grand favori de l’élection à venir fin novembre.

Jair Bolsonaro, figure de l’utra-droite brésilienne

Il faut surtout mentionner la figure de Jair Bolsonaro, député de l’ultra-droite brésilienne, souvent décrit comme un « Trump Brésilien » dans les médias. Ce dernier est connu pour ses positions nationalistes et ses controverses. Il a notamment a défendu la dictature militaire (1964-1985) et tenu des propos ouvertement racistes et homophobes. A cet égard, il a par exemple prôné l’usage de la violence envers les enfants qui auraient des tendances homosexuelles. Étant donné la situation chaotique dans laquelle se trouve actuellement la plus grande puissance latino-américaine, les présidentielles de 2018 apparaissent plus ouvertes et incertaines que jamais, après la destitution de Dilma Rousseff et au regard de l’impopularité du président par interim, Michel Temer. Bolsonaro est pressenti pour être candidat, à la faveur de sondages flatteurs, qui l’installent en deuxième position dans les intentions de vote, certes loin derrière l’ancien président Lula da Silva. Néanmoins, étant donné les accusations de corruption pesant sur l’ex-président et la chasse menée par les juges contre le parti des travailleurs (PT), il y a de fortes possibilités pour que Lula ne puisse être sur la ligne de départ en octobre 2018, ce qui ouvrirait complètement le jeu. En Amérique-Latine, comme en Europe et aux États-Unis, les néo-populismes ont ainsi de beaux jours devant eux.

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Lucas MAUBERT

Doctorant en Histoire à l'Université de Tarapacá (Chili). Diplômé de l'IEP de Rennes et de l'Université Rennes 2. Rédacteur pour Les Yeux du Monde depuis 2016.

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