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Quelle fragilité pour les banques chinoises ?

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Alors que les cinq premières banques du monde sont toutes chinoises, le système bancaire chinois continue de poser question dans un contexte de ralentissement de la croissance intérieure et mondiale.

Les banques chinoises, des colosses aux pieds d’argile ?

Sous Deng Xiaoping, le gouvernement central a entrepris un vaste programme de structuration du système bancaire. Après s’être consacré à diminuer la part des créances douteuses dans le bilan des principales banques d’état, Beijing a continué son œuvre en mettant sur pied la CRBC (Commission de régulation des banques chinoises) en 2003. De cette façon, le Parti Communiste entend développer un système bancaire conforme aux standards internationaux. Il faut mesurer le chemin parcouru par les banques chinoises. Les dispositions Bâle III furent par exemple intégrées au cadre législatif chinois dès le 01 janvier 2013, six mois avant les Etats Unis. Selon le classement annuel de The Banker, quatre des cinq premières banques mondiales en termes de ratio Tier 1 (qui mesure la capacité des banques à absorber des pertes, à générer une croissance rentable et à résister à des crises) sont chinoises. En 2016, ces dernières représentaient 32% du bénéfice total des 1000 premières banques mondiales, contre 4% dix ans auparavant. Avec plus de 3420 milliards d’euros d’actifs gérés, l’Industrial & Commercial Bank of China est ainsi la plus grande banque au monde. Encore méconnue en Europe, son introduction en bourse en 2006 pour près de 19 milliards d’euros, un record depuis battu par une autre banque chinoise (l’Agricultural Bank of China, introduite en bourse en 2010 pour plus de 22 milliards d’euros), signa l’entrée fracassante des banques chinoises sur un secteur largement dominé par les occidentales.

Certes, la taille sans commune mesure du marché intérieur chinois permet d’énormes effets de volume, mais les groupes bancaires chinois ne se contentent plus seulement des activités de banques de détails, et se tournent de plus en plus vers les opérations de haut de bilan. Dopées par les acquisitions chinoises à l’international, les activités de M&A des banques de l’Empire du milieu ont ainsi atteint des sommets. En effet, leur proximité avec les milieux décisionnels chinois et leur taille gigantesque leur permet de décrocher de nouveaux contrats, là où les banques d’affaires occidentales ne se risquent pas engager plus de 10% de leur bilan sur une opération. Portés par des coups d’éclat comme l’acquisition par ChemChina de Syngenta pour 43 milliards d’euros, ou l’augmentation de la prise de participation au capital d’Accor Hotels de Jin Jiang, les grands acteurs chinois de la banque d’affaires comme CICC, Citic et la China Construction Bank se frottent les mains.

Ces chiffres cachent cependant une réalité bien plus complexe. Car au-delà de l’apparente solidité, le secteur bancaire chinois fait face à deux défis majeurs.

En premier lieu, la taille du secteur bancaire informel (shadow banking), estimé à plus de 3500 milliards d’euros selon Moody’s. En dehors de toute surveillance des autorités de régulation, ces activités de crédits entre particuliers ou entre entreprises ont explosé ces dernières années en Chine. Confrontés à des conditions d’emprunts parfois rédhibitoires, à un taux de rémunération des dépôts plafonnés à des niveaux très faibles, ainsi qu’à la hausse des prix de l’immobilier, ce système constitue pour beaucoup de ménages et de PME un moyen d’emprunter et de prêter de l’argent facilement, via des intermédiaires financiers peu regardants. De la même façon, chez les grandes banques du pays, le taux de prêts non performants atteindrait encore entre 15% et 19%, bien loin des 1,75% des statistiques officielles.

Enfin, le gigantesque plan de relance de 4000 milliards de RMB lancé par le gouvernement en 2008 a laissé des traces dans les comptes des provinces chinoises. Financé seulement à un tiers par le gouvernement central, il a poussé les gouvernements locaux à mettre en place des véhicules d’investissement pour émettre de la dette, car leur pouvoir d’émission de dettes sur les marchés est très limité. Ces LGIC (local government investment vehicles) ont donc contracté les prêts servant à financer des programmes d’investissement. Cette accumulation de dette dans ces véhicules pose aujourd’hui problème, alors que seuls 27 % des prêts des LGIV verraient leurs échéances actuelles couvertes par les recettes des investissements réalisés. Ce qui pose la question de la solidité du système bancaire régional chinois, principal apporteur de fonds du secteur agricole et industriel au sein des zones rurales, et qui fonctionne encore largement sur un modèle de coopératives bancaires.

Le développement rapide des banques chinoises en Chine comme dans le monde remet en cause la domination de leurs homologues occidentales. En sus, la volatilité du jeune système financier chinois ainsi que les interventions répétées du gouvernement dans l’économie posent la question du développement du système bancaire chinois, entre moteur de développement et outil d’action politique sur le marché.

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Fabien HERBERT

Fabien Herbert est Président des Yeux Du Monde et rédacteur géopolitique pour l'association depuis mars 2016. Formé à l’Université Catholique de Louvain, Fabien Herbert est journaliste et analyste spécialisé en relations internationales. Il s’intéresse notamment au monde russophone, au Moyen-Orient et à l'Asie du Nord-Est.

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