Arménie-Azerbaïdjan : après la guerre, avant la paix
Suite au cessez-le-feu du 10 novembre dernier, le conflit entre l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la région autoproclamée du Haut-Karabakh n’a plus la même médiatisation. Pourtant, les tensions sont bien réelles, y compris militaires. Tous les éléments semblent réunis pour qu’un conflit ré-éclate à court ou moyen-terme.
La nouvelle frontière Arménie-Azerbaïdjan-Haut-Karabakh
Depuis le cessez-le-feu, le conflit armé a perdu en intensité mais n’a pas totalement disparu. En effet, des tirs ont été échangés dans la province de Hadrout mi-décembre. En avril 2021, c’est dans la région de Nor Ghazanchi (province de Mardakert) que l’armée azerbaïdjanaise a avancé et reculé plusieurs fois. Les forces russes d’interposition ont un rôle non négligeable, mais dont l’efficacité est parfois douteuse. La Russie présente une carte de sa zone d’intervention. Celle-ci était mouvante au gré des jours, incluant ou pas le monastère arménien de Dadivank, incluant très temporairement les villages de Hin Tagher et Khntsaberd.
Outre la région du Haut-Karabakh, la frontière sud entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan présente de nombreux risques. Le tracé de cette frontière n’a jamais été totalement clair et ne l’est toujours pas aujourd’hui. L’armée azerbaïdjanaise est totalement déployée sur les territoires que l’Arménie a rendu à Bakou. Elle fait face à de nombreux villages arméniens. Des champs, des routes, des villages ont ainsi été coupés en deux. L’aéroport de Kapan, capitale de la province de Syunik, la plus méridionale de l’Arménie, se situe en contrebas de la frontière azerbaïdjanaise, le rendant particulièrement vulnérable. Un cas de harcèlement d’un berger arménien par l’armée azerbaïdjanaise, dans le Syunik, a été mentionné par le Défenseur des Droits de l’Arménie.
Cette province de Syunik est aujourd’hui l’objet de nombreux problèmes. Ilham Aliyev revendique ce territoire comme historiquement et légitimement azerbaïdjanais. Alors que l’accord du 10 novembre doit ouvrir les communications entre l’Azerbaïdjan et son exclave du Nakhichevan (à l’ouest du Syunik), des problèmes se posent. L’Azerbaïdjan revendique explicitement l’ouverture d’un corridor azerbaïdjanais sur le sol arménien et menace d’utiliser la force pour parvenir à cette fin. Côté arménien, le Premier ministre Nikol Pashinyan n’est pas le bienvenu dans le sud arménien. En effet, les habitants l’ont empêché de se rendre en visite officielle en décembre 2020. Il a aussi été hué lors d’une deuxième tentative en avril 2021. Celui qui y est qualifié de traître pour avoir laissé “l’ennemi” aux portes de la province a donc une légitimité très faible dans le sud arménien. Il y aurait désormais sept avant-postes militaires russes dans le Syunik, dont six à la frontière arméno-azerbaïdjanaise, en plus des forces arméniennes et des volontaires arméniens.
Vers une recomposition du Haut-Karabakh
L’Azerbaïdjan estime qu’aujourd’hui la République autoproclamée du Haut-Karabakh n’a aucune existence légale. Lorsque les forces de maintien de la paix russes partiront, Bakou pense pouvoir reconquérir totalement le territoire qu’elle estime lui appartenir. Alors qu’auparavant, Ilham Aliyev voulait intégrer le Haut-Karabakh à l’Azerbaïdjan en promettant une très large autonomie, pendant la guerre, ses déclarations se sont limitées à une autonomie culturelle. Après la guerre, toute mention à une possible autonomie a disparu. Grâce à la victoire de novembre 2020, Aliyev est en position de force et n’a plus besoin de négocier avec les Arméniens du Haut-Karabakh. Ces derniers, face aux discours et actes hostiles du Président azerbaïdjanais, doivent donc repenser leur organisation.
Pour rappel, le statut du Haut-Karabakh devrait – en principe – être défini suite à un référendum selon les principes de Madrid, négociés par le Groupe de Minsk (le groupe de médiation de l’OSCE pour mettre fin au conflit du Haut-Karabakh). Cela montre à quel point l’Azerbaïdjan peut aujourd’hui agir à sa guise, sans contre-pouvoir.
La présence russe est en revanche perçue comme un problème à Bakou. L’Azerbaïdjan a toujours refusé le déploiement de troupes russes avant la guerre de 2020. Selon l’accord du 10 novembre, celles-ci devront partir au bout de cinq ans s’il n’y a pas d’unanimité pour souhaiter leur maintien. Il semble clair que Bakou s’opposera à leur maintien. Cependant, on voit mal la Russie accepter de partir, à moins de négociations sur d’autres sujets. Du côté des Arméniens du Haut-Karabakh, l’essentiel du pouvoir semble s’être transféré du Président vers un ancien héros de guerre, Vitaly Balasanyan. Celui-ci est très proche de la Russie. Le Haut-Karabakh a d’ailleurs reconnu le russe comme langue officielle du pays après l’arménien. Il semble donc que la Russie et les autorités du Haut-Karabakh font de l’Etat autoproclamé une zone grise sur le modèle de l’Abkhazie ou du Donbass. Bien-sûr, au détriment de Bakou. Le conflit du Haut-Karabakh est donc loin d’être réglé, il entre juste dans une nouvelle phase.
Bibliographie :
Hovannes Nazaretyan, Russia’s increasing military presence in Armenia, Erevan Report, 4 Mars 2021