L’Ukraine prise au piège des ingérences étrangères
Dix ans après la Révolution orange, voilà donc qu’à nouveau l’Ukraine réapparait dans l’actualité. Rarement un pays aura été autant tiraillé entre deux forces centrifuges ayant conduit au renversement de la semaine dernière. Pour autant, ses implications ne sont pas aussi manichéennes qu’elles peuvent être présentées.
A l’issue d’un soulèvement populaire ayant rassemblé des millions d’Ukrainiens (non majoritaires, cependant), le président Ianoukovitch a donc été démis de ses fonctions par un Parlement l’ayant lâché, sous diverses pressions internes et externes. Celui-là même que les Ukrainiens avaient majoritairement élu, en 2008, a donc été contraint à l’exil à l’issue d’un processus fort peu démocratique, malgré les dires de certains.
Depuis lors, les Occidentaux n’ont que de cesse que de blâmer un homme, V. Poutine. Il est dommage d’avoir perdu le Poutine défendant la non-ingérence en Libye et en Syrie. Alors qu’il avait réussi à décrédibiliser les doctrines guerrières d’un Occident cherchant à s’occuper du printemps arabe, son plan pour l’Ukraine, même s’il relève pour l’instant plus du discours que de l’action concrète, rappelle les limites d’un régime prêt à défendre la diplomatie que lorsque ses intérêts demeurent modérés. Pour autant, cela mérite-il un cortège de menaces, de boycotts, et d’appels au respect de la démocratie ? Il est vrai que bon nombre de ces accusations proviennent de pays qui sont des modèles du genre dans le respect des conventions internationales et s’étant abstenus de toute interférence dans les conflits ayant émaillé le monde depuis 1991…
Peu importe la querelle russo-occidentale, car la seule perdante de cette histoire est l’Ukraine elle-même
Le problème, comme sur d’autres fronts, est que la solution proposée par les Occidentaux ne colle pas avec les aspirations réelles de l’Ukraine. Les nouvelles têtes du régime ne présentent pas, pour le moment, de réelles garanties sur le passage à une Ukraine démocratique, si tant est qu’elle le veuille majoritairement, ce qui reste à démontrer. Il n’est pas lieu de rappeler au retour d’un Président corrompu, ou encore moins de faire offense aux victimes de la place Maïdan s’étant battues pour la défense de leurs droits. Il s’agit encore une fois de montrer que l’Ukraine est et continue à être au milieu d’un faisceau d’influences. L’Occident croît avoir ramené l’Ukraine sur la voie de la « raison » (la démocratie) en réduisant l’Ukraine à sa moitié pro-européenne. Mais la moitié russophone de l’est et du sud du pays est-elle autorisée à répondre, elle qui n’a absolument pas voté pour la destitution d’un Président élu à l’issue d’un suffrage populaire ?
Le retour au dialogue, amorcé par une Angela Merkel peu accusable d’être une fervente atlantiste, est une bonne nouvelle. Néanmoins, les nouveaux dirigeants de l’Ukraine sauront qu’ils pourront compter sur une Union Européenne et des Etats-Unis, au moins dans les discours. Car, dans les faits, il ne faut pas se leurrer : les prochains dirigeants ukrainiens, plus ou moins à la botte des Occidentaux, auront une tâche herculéenne face à eux. Entre la dette astronomique, la scission politique et culturelle, voire les risques de sécession, l’Ukraine post-révolutionnaire aura les pires difficultés du monde à résoudre ses problèmes seule. Cela tombe mal, car elle a choisi de se rapprocher d’un camp européen n’ayant guère les finances pour aider son lointain voisin.