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Opération Barkhane, l’armée française au Sahel

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L’opération Barkhane est lancée le 1er août 2014 par l’armée française. Baptisée du nom des dunes de sable mouvantes en forme de croissant du Sahara, il s’agit de la plus grande opération française en termes d’effectifs (3 000 militaires français) devant l’opération Sangaris en Centrafrique (2 000 soldats). Elle témoigne d’une nouvelle approche géostratégique comprenant l’élargissement et la fusion des théâtres d’opérations dans la bande sahélo-saharienne. Elle nécessite un cadre diplomatique et institutionnel favorisant une véritable coopération régionale : le « G5 Sahel » regroupant Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad.

L’opération Barkhane succède à l’opération Serval, lancée en janvier 2013 pour arrêter l’offensive djihadiste menaçant Bamako. Elle mutualise les moyens des forces armées jusqu’alors distincts (opération Serval au Mali, opération Épervier au Tchad (1986)). Le poste de commandement interarmées est basé à N’Djamena (Tchad), secondé par une base permanente à Gao (Mali). Un dispositif souple et adaptable à l’évolution de la menace est mis en place. Il permet une couverture territoriale optimale grâce à un système de bases avancées temporaires facilitant les basculements de troupes. L’opération Barkhane appuie les missions conjointes de l’ONU (MINUSMA) et de l’Union européenne : EUTM-Mali concernant la formation des bataillons militaires maliens et EUCAP Sahel Mali consistant en la formation de la police, la gendarmerie et la Garde nationale maliennes.

L’opération Barkhane répond donc à un objectif double : soutenir les forces armées des pays africains dans la lutte antiterroriste et empêcher la « reconstitution de sanctuaires terroristes ».

Toutefois, la tâche n’est pas aisée. La bande sahélo-saharienne est une zone grise, un immense espace criminalisé (environ 9 fois la superficie de la France métropolitaine) qui pose un défi logistique à l’armée française. En outre, les conditions socio-économiques y sont déplorables (pauvreté persistante, lutte pour l’autosuffisance alimentaire). Le sud-Sahara comprend des États faibles parmi les pays les moins avancés (PMA). Un cercle vicieux s’y dessine : la faiblesse des États sahariens profitent aux groupes criminels, aux narcotrafiquants et aux terroristes qui s’approprient des portions de territoire (parcellisation de l’espace saharien) ce qui contribue à accentuer l’émiettement et l’affaiblissement des pouvoirs étatiques.

En outre, le Sahara est historiquement un espace de transit (traites négrières depuis l’Antiquité) entre sa rive nord et sa rive sud. Il s’agit d’un espace ouvert de circulation, parcouru par un réseau de routes et d’oasis (emprunté par les caravaniers et les pasteurs). Or, les groupes armés terroristes évoluent parfaitement dans cet espace fluide et se jouent des frontières étatiques poreuses. L’opération Barkhane permet de combattre ces groupes à l’échelle régionale, de manière coordonnée et transfrontalière afin d’éviter le redéploiement des cellules terroristes dans des bases arrières inaccessibles aux armées françaises car de l’autre côté des frontières maliennes.

L’engagement français au Sahel change d’échelle spatio-temporelle : extension territoriale (passage de l’échelle nationale à l’échelle régionale) et allongement temporel (action de longue durée, state-building qui fait penser au théâtre afghan). Les militaires français devront ainsi enrayer le trafic de drogues, assécher le trafic d’armes en provenance de Libye et briser l’industrie de la prise d’otages qui sont autant de sources de revenus pour les terroristes.

L’opération Barkhane s’inscrit dans une phase de redéploiement stratégique français en Afrique pour contenir l’avancée chinoise. Elle prend à contre-pied le désengagement français du continent africain sous l’administration Sarkozy. Surtout, elle participe à la sécurisation de la filière énergétique française dans la région (nucléaire avec Areva au Niger, importance du gaz algérien vue l’attitude russe en Ukraine) et à l’établissement d’une frontière migratoire renforcée dans cette zone tampon entre l’Europe et l’Afrique subsaharienne.

Néanmoins, le lancement de l’opération Barkhane pose les questions de l’insuffisance du matériel militaire français (3 drones seulement) dans une immensité désertique et d’un élargissement à un hypothétique « G7 Sahel » comprenant le Nigéria et le Nord-Cameroun, zone repère de la secte islamiste terroriste Boko Haram.

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Rémy SABATHIE

Secrétaire général et rédacteur géopolitique pour Les Yeux du Monde, Rémy Sabathié est analyste en stratégie internationale et en cybercriminalité. Il est diplômé de géopolitique, de géoéconomie et d’intelligence stratégique.

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