Relancer la « solidarité de fait » : Galileo et la construction européenne
En annonçant le 23 août dernier que les deux premiers satellites du projet Galileo avaient atteint une orbite plus basse que prévue (17 000 kilomètres au lieu de 23 522 kilomètres d’altitude), Arianespace confirmait les craintes de voir ce vaste chantier prendre encore du retard après 15 ans de déboires en tous genres et 6 ans de dépassement des délais initiaux. Les difficultés de ce qui devait constituer un fleuron de la coopération spatiale européenne et marquer la réussite de l’Europe de la technologie ne font que renforcer l’idée qu’en matière industrielle comme politique, les beaux idéaux européens sont souvent délicats à mettre en pratique.
Le projet Galileo a vu le jour en 1999, année faste pour l’Union Européenne de la Commission Prodi qui vit l’entrée en vigueur de la monnaie unique et du traité d’Amsterdam. Sous la responsabilité de l’Union Européenne et de l’Agence Spatiale Européenne, Galileo fut pensé comme un concurrent direct du GPS américain et un instrument de souveraineté indispensable à une entité politique et économique de l’importance de l’Union : encore aujourd’hui l’ensemble des systèmes de navigation utilisés dans le monde dépendent du GPS américain, du GLONASS russe et du Beidou/COMPASS chinois (tous deux largement moins utilisés) et donc directement du bon vouloir des gouvernements américains, russes et chinois. Si les enjeux sont profondément stratégiques et économiques, le défi apparaît aussi comme technique et politique aux autorités européennes. Il s’agit de montrer que l’Europe, qui dispose de leaders du spatial avec Arianespace ou le CNES français, est capable de créer un système plus performant que celui des Américains (Galileo pourrait atteindre une précision de 10cm) et de réussir le pari politique de fédérer les compétences européennes avec succès. Cependant en 2014, après 6 ans de retard, des milliards d’euros partis en fumée et une mise en service complète prévue pour 2017, il apparaît que ce beau projet s’est essoufflé en même temps que celui de la construction européenne : les années 2000 contrastent avec l’enthousiasme politique et technologique de la fin des années 1990 et certains se demandent même si Galileo – comme l’Europe politique- ne devrait pas être abandonné.
Au total, l’Union Européenne aura débloqué plus de 13 milliards d’euros entre 1999 et 2020 pour financer le projet Galileo et son prédécesseur Egnos.
En sus de ces coûts et délais qui se multiplient se pose à présent la question de la fiabilité du lanceur russe Soyouz qui serait à l’origine du dysfonctionnement du 23 août. Dans un contexte politique tendu entre la Russie et l’UE, les spécialistes européens excluent pourtant toute idée de « sabotage » en soulignant la qualité de la coopération des deux équipes depuis la chute de l’Union soviétique, tout en affirmant leur attachement à Ariane 5 qui lancera 12 des 22 satellites à mettre en orbite d’ici 2017. Du côté politique, l’heure n’est plus à la remise en question du projet qui a déjà beaucoup coûté et qui est en passe de se réaliser ; cependant les hauts fonctionnaires de la Commission espèrent que les délais seront tenus sans plus de coûts supplémentaires. Il en faudra plus pour relancer la machine grippée de la construction européenne, mais le succès de Galileo pourrait remettre au goût du jour la « solidarité de fait » des partenaires européens et fédérer les énergies derrières d’autres projets structurants. Dans ces temps difficiles pour l’Europe, Robert Schuman n’aurait sans doute pas minimisé l’impact que ces quelques satellites peuvent avoir sur l’avenir politique de l’Union.