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La mémoire dans la peau…des supporters ultras: guerre et football dans les Balkans

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A l’heure où de nombreuses cicatrices peinent à se refermer dans l’esprit des populations balkaniques, les enceintes sportives restent encore des espaces dans lesquels se prolonge une violence héritée de la guerre en ex-Yougoslavie. Comme une tragique piqûre de rappel, l’histoire récente de la région s’entremêle aux destinées houleuses de certains groupes de supporters ultras. 

Une violence banalisée qui s’inscrit comme le prolongement de la guerre en tribunes 

Le Delije, le groupe de supporters ultras du club de l’Étoile Rouge de Belgrade.

Les tribunes pleines de certains stades de football dans les Balkans symbolisent l’immense ferveur sportive qui se dégage des populations issues de l’ex-Yougoslavie. Mais cet engouement est bien trop souvent occulté par le comportement de certains groupes de supporters ultras, étendards d’une réalité régionale dans laquelle le sport est à la fois un instrument politique et un terrain propice à la violence verbale, si ce n’est physique. Le match qui s’est déroulé entre la Kosovo et la Croatie le 6 octobre 2016,[1] dans le cadre des qualifications pour la Coupe du monde 2018 qui se tiendra en Russie, a été le théâtre d’énièmes violences verbales en tribunes. Cette fois-ci, ce sont les Serbes qui ont été la cible de propos haineux. Des chants anti-serbes se sont en effet élevés des tribunes du stade de Shköder, ville du nord-ouest de l’Albanie. Très rapidement condamnés par la FIFA, ces propos ne sont pourtant pas nouveaux.

C’est dans un contexte de succession d’indépendances proclamées par les différentes républiques de la Yougoslavie (Slovénie, puis Croatie) que s’est tenue le 13 mai 1990 une rencontre entre le Dynamo Zagreb et l’Etoile Rouge de Belgrade. Deux clubs européens majeurs du moment, mais aussi deux viviers de supporters aux nationalismes rampants [2]. Considéré symboliquement comme le point de départ des guerres en ex-Yougoslavie, ce match fut le théâtre d’un affrontement entre les membres du groupe Ultra Delije, emmenés par Željko Ražnatović, qui deviendra un chef de guerre serbe sous le nom d’Arkan, et les Bad Blue Boys croates. Ce sont ces mêmes groupes d’individus qui, quelques mois plus tard, se porteront volontaires pour intégrer les forces militaires croates, tandis qu’un certain nombre d’ultras de Delije rejoindront le groupe paramilitaire serbe appelé  « Les Tigres ».

Plus de vingt ans après la fin des conflits, et si les armes ont été déposées, le climat de tensions qui entoure certaines rencontres n’a lui rien perdu de sa violence. Dans certains esprits persistent encore des relents nationalistes qui portent en eux les germes de la haine. Seulement, les matchs régionaux sont devenus moins nombreux puisque le redécoupage des frontières a entraîné la création de championnats nationaux (serbe, croate, albanais…) dont le niveau sportif s’est nettement détérioré. Désormais, les chocs nationaux – tels que les matchs entre le Partizan Belgrade et l’Etoile Rouge de Belgrade – font régulièrement l’objet de problèmes d’ordre sécuritaire. Les groupes d’ultras s’affrontent entre eux, quand ils ne choisissent pas les forces de l’ordre pour cibles.

Mais cela n’empêche pas pour autant de nombreux débordements lors de rencontres européennes ou internationales. A l’occasion de la coupe de l’UEFA 2007/2008, la confrontation entre le Partizan Belgrade et le Zrinjski Mostar, club de Bosnie-Herzégovine, a tourné à l’affrontement entre supporters et forces de l’ordre. Les Bad Blue boys du Dynamo Zagreb ont affronté la police à Prague en 2008, et à Timisoara en 2009. La même année, dans le cadre d’une rencontre entre le Partizan et le Toulouse Football Club, plusieurs hooligans ont attaqué des supporters français  assis en terrasse d’un bar belgradois. L’un d’eux, Brice Taton, succombera à ses blessures quelques jours plus tard. A l’échelle internationale, la rencontre qui eut lieu en 2010 entre l’Italie et la Serbie fut arrêtée après 7 minutes de jeu seulement. Ce fut de nouveau le cas en 2014, cette fois-ci entre la Serbie et l’Albanie, rencontre durant laquelle un drone transporta un drapeau affichant une carte de la « Grande Albanie ».

Ces événements sont une preuve de la tension ambiante qui règne dans plusieurs stades de la région depuis des années. L’ensemble des pays de l’ex-Yougoslavie est aujourd’hui gangrenée par cette violence, qui est tantôt l’expression de nationalismes exacerbés, tantôt le reflet d’esprits échauffés sans raisons justifiées et justifiables.

La lente reconstruction des clubs de football dans les Balkans: une nécessité pour lutter contre de multiples dérives ultras

Pour autant, le temps fait son œuvre. Et les actes de solidarité sportive et extra-sportive se multiplient afin de lutter contre ces dérives. Par exemple, en marge de l’euro 2016, l’Italie a accueilli « L’Europeada », autrement appelée « Le Championnat d’Europe du football des minorités linguistiques et des nations sans Etat », dans lequel l’équipe des Serbes de Croatie et celle des Croates de Serbie étaient présentes. Au-delà de l’aspect purement sportif, leur présence respective est un symbole fort des efforts de réconciliation dans la région. Car il ne faut en aucun cas douter de la capacité des Etats issus de l’ex-Yougoslavie à  relever le défi que lui pose la persistance de certains messages de haine en provenance de groupes d’ultras.

Depuis l’élection d’Aleksander Čeferin à la tête de l’UEFA en octobre 2016 et la présence dans son comité exécutif de personnalités telles que l’ancien footballeur croate Davor Šuker, le projet d’établir une Ligue Balkanique est revenu sur le devant de la scène. Il pourrait voir le jour en 2018, avec l’objectif affiché de reconstruire le vivier footballistique de la région et d’attirer de nouveaux investisseurs. Mais ce projet doit faire face à plusieurs interrogations notamment en matière de sécurité. La tenue de certains matchs à caractère critique pose en effet problème, dès lors que l’on regarde dans le rétroviseur les incidents qui se sont régulièrement produits entre groupes de supporters ultras.

Au-delà des multiples rivalités historiques et parfois violentes, la lecture de ce phénomène dans les Balkans met en avant l’expression d’un ancrage régional, voire local pour certains groupes de supporters à l’heure où de nombreux repères identitaires peinent à se reconstruire. Le critère d’appartenance à un club offre dès lors un espace dans lequel il devient plus facile de s’identifier et d’être reconnu.

Au-delà des dérapages réguliers de certains groupes ultras, il existe une large majorité d’individus prêts à soutenir leur équipe favorite à tel point que de nombreuses rencontres de football, de basket-ball ou encore de Volley-Ball font partie des événements sportifs les plus intenses qui soient dans la région. Les reconnaissances successives il y a quelques mois de l’équipe du Kosovo par l’UEFA puis la FIFA sont à louer et elles pourraient s’accompagner d’une évolution diplomatique encore plus importante dans les années à venir. Car le sport ne doit pas être dans les Balkans le miroir d’une guerre inachevée dans les esprits, mais le reflet d’un réel apaisement qui suit son cours entre les Etats de l’ex-Yougoslavie, et ce tant bien que mal. 

[1] La Croatie l’a emporté largement face au Kosovo (6-0)

[2] Julien Guzan, “Les groupes de supporters ultras : un miroir des Balkans”, Nouvelle Europe [en ligne], Mercredi 16 novembre 2011, http://www.nouvelle-europe.eu/node/1295, consulté le 11 octobre 2016

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