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Gaz russe : la Commission européenne accepte les concessions proposées par Gazprom

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Décision raisonnable pour les uns, occasion manquée pour les autres, l’accord passé entre Gazprom et l’Union européenne (UE) divise cette dernière. Après plusieurs années de procès, Bruxelles a accepté les propositions faites par Gazprom pour régler à l’amiable le différend qui oppose la Commission au géant du gaz russe au sujet de l’abus de position dominante pratiqué par ce dernier en Europe centrale et orientale. Gazprom échappe ainsi à une amende très élevée, tandis que l’union impose le respect des règles de la concurrence. Si Gazprom s’en sort bien, la relation entre l’Union européenne et son allié américain pourrait, elle, pâtir de cet accord.

Des concessions déterminantes

Margrethe Vestager, commissaire européenne à la concurrence

La Commission européenne a adopté, le 24 mai, une résolution qui reprend largement les ouvertures faites, en mars dernier, par Gazprom, mettant ainsi un terme à un procès qui durait depuis 2015. Cette décision marque la victoire du droit européen de la concurrence sur le plus puissant fournisseur de gaz de l’UE. Cette dernière importe en effet plus d’un tiers de son gaz de Russie, un chiffre en constante augmentation ces dernières années. En Europe centrale et orientale, la dépendance au gaz russe est plus prononcée encore, frisant les 100% pour l’Estonie, la Slovaquie ou la Bulgarie. L’accord conclu avec Gazprom met fin à l’interdiction contractuelle pour les importateurs est-européens de revendre le gaz russe à leurs voisins. Cette mesure devrait réduire la dépendance directe des Etats les plus isolés et les plus vulnérables grâce à la politique volontariste de l’UE en matière de construction de gazoducs interconnecteurs. La décision de la Commission privera également Gazprom de pratiques monopolistiques sur les marchés les plus enclavés (Etats baltes et Bulgarie). En outre, la firme russe a dû accepter que les acheteurs est-européens puissent bénéficier, tous les deux ans, d’une option visant à adapter les prix du gaz livré aux prix pratiqués sur les hubs gaziers d’Europe occidentale. Du fait de la plus forte liquidité de ces marchés, les prix y sont généralement plus faibles. Enfin, la Commission a déclaré nulles les concessions obtenues par Gazprom sur ses clients est-européens du fait de sa position de monopole.

Gazprom s’en sort mieux que prévu

La stratégie de l’UE, qui consiste à s’imposer par les normes et à conditionner l’accès à son marché commun au respect des règles européennes, s’est ainsi avérée payante. Elle a obtenu d’importantes concessions pour les pays membres d’Europe centrale et orientale et s’est affirmée comme puissance politique. Elle a notamment su jouer sur la forte dépendance de Gazprom au marché européen, qui représente 500 millions de consommateurs. Par ailleurs, la possibilité d’une indexation des prix pratiqués par l’entreprise moscovite sur les hubs d’Europe occidentale marque une nouvelle étape dans la création d’un marché européen du gaz. Pour autant, Gazprom n’est pas le grand perdant. La firme russe a échappé à une amende à hauteur de 10% de son chiffre d’affaires mondial. Ce choix de la Commission a certainement été motivé par la peur de voir les procédures s’éterniser, avec de nombreux recours. De plus, en affichant son respect de la décision de la Commission et donc du droit européen, Gazprom devrait répondre efficacement aux critiques qui voient dans Nord Stream 2, le projet de doublement du gazoduc de la Baltique, une entrave à la libre concurrence. Si l’Union européenne est parvenue à s’assurer des prix bas, sa sécurité énergétique reste étroitement liée au géant russe. En outre, la clause d’indexation sur les prix des hubs gaziers ouest-européens pourrait se retourner contre les pays membres, tant les prix tendent à augmenter sur ces marchés.

Enfin, cette décision ne devrait pas désamorcer les tensions avec Washington. Alors que Donald Trump exige que l’UE importe davantage de gaz naturel liquéfié américain, l’accord passé avec Gazprom entérine la domination du gaz russe sur le marché européen. Parallèlement, le fait que Gazprom échappe à une amende, au moment où l’UE punit l’américain Qualcomm pour abus de position dominante, ne peut que renforcer la défiance de l’administration Trump à l’égard des Européens. Dès lors, les Etats-Unis pourraient tenter de jouer sur certaines divisions entre Européens, en s’appuyant notamment sur les plus anti-russes d’entre eux, à l’image des Etats baltes et de la Pologne. Cette dernière a en effet vivement critiqué un accord qui, selon elle, ne limite pas suffisamment l’influence russe.

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