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L’Ingouchie, la province russe modèle qui se rebelle ?

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Le jeudi 6 novembre, la Cour constitutionnelle de Russie a jugé légitime l’accord controversé sur le tracé de la frontière entre l’Ingouchie et la Tchétchénie. Peu habituée à faire la une des médias, la petite république ingouche s’est vivement révoltée contre cette décision. L’affaire remonte à début octobre, quand les chefs tchétchène et ingouche se sont mis d’accord pour établir une frontière officielle, là où il n’y en avait jamais eue. La population ingouche s’est estimée lésée par ce partage de territoire. Une contestation inédite a pris forme, sous l’œil menaçant de Moscou.

Le bon élève de la Fédération Russe

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L’Ingouchie, territoire minuscule, parviendra-t-elle à peser face au Kremlin ?

Au temps de l’URSS, l’Ingouchie et la Tchétchénie étaient réunies dans une même république. Comme l’ensemble des populations caucasiennes, les Ingouches ont subi des répressions sous le gouvernement de Staline et ont été déportés au Kazakhstan en 1944. Cependant, à leur retour en 1957, ils ont été les seuls à ne pas récupérer l’entièreté de leurs terres. La portion manquante a été allouée à l’Ossétie du Nord. Toutefois, après la chute de l’URSS, l’Ingouchie a fait le choix de la fidélité à la Russie. Sa voisine, la Tchétchénie, a connu des relations bien plus houleuses avec le pouvoir russe, allant même jusqu’à entrer en guerre pour réclamer son indépendance. Restée à l’écart du conflit, l’Ingouchie a néanmoins été affectée par l’arrivée massive de réfugiés tchétchènes. Depuis 1992, la petite république dispose du statut officiel de sujet de la Russie, sans qu’aucune frontière formelle n’est jamais été définie. Depuis de nombreuses années, ce sujet a été la source de tensions entre les républiques ingouche et tchétchène.

Une contestation inédite

La bonne conduite habituelle des Ingouches, en comparaison avec l’agitation tchétchène, a pris fin de façon inattendue avec les récents événements. En effet, la population manifeste depuis début octobre contre cet accord frontalier. La capitale, Magas, a été occupée de façon constante depuis le début de la contestation. C’est un fait exceptionnel en Russie où des manifestations de cette ampleur n’avaient pas eu lieues depuis les élections législatives de 2011. De manière encore plus surprenante, des policiers locaux ont rejoint les manifestants, empêchant ainsi la garde russe de les disperser. Pendant ce temps, Moscou fait la sourde et les médias gouvernementaux n’évoquent pas le conflit. Si l’autorité de la Cour constitutionnelle ingouche, qui avait jugé l’accord illégal sans référendum, a été surpassée par la Cour constitutionnelle russe, les manifestations semblent tout de même inquiéter la Russie.

La mainmise de Moscou

Si, en théorie, le Kremlin feint l’indifférence, en réalité, il cherche à contrôler la situation. Alors qu’il était venu enquêter sur la situation ingouche, Oleg Koslovski, un collaborateur d’Amnesty international, a été enlevé et passé à tabac par ce qu’il clame être des membres de la sécurité russe. Ces derniers l’auraient menacé de représailles sur sa famille, s’il divulguait ces informations. Les agents russes auraient tenté de le corrompre pour en faire un informateur et, quand confrontés à son refus, l’auraient torturé et menacé de viol. La population ingouche craint également les ambitions grandissantes du chef tchétchène, Ramzan Kadyrov, qui semble de plus en plus intéressé par le contrôle de la région. Depuis son accession au pouvoir en 2007, Kadrov, protégé de Vladimir Poutine, peut compter sur le soutien sans faille de Moscou.

Un territoire à l’agonie

Si l’accord sur la frontière est si vivement combattu, c’est qu’il représente une humiliation supplémentaire pour la population ingouche. Déjà amputée d’une partie de son territoire en 1957, cette nouvelle décision la prive de près de 10% de ses terres. Les Ingouches se sentent d’autant plus lésés qu’ils perdent leur territoire au profit de la Tchétchénie, une province qui a donné bien plus de difficultés à Moscou. Certains habitants ne comprennent pas pourquoi leur fidélité envers la Russie est ainsi bafouée. De plus, l’Ingouchie souffre de grandes difficultés économiques. Le chômage s’élève à plus de 50% et les taux de pauvreté sont très élevés. La possession de terre apparaît alors comme un élément crucial d’identité et de fierté. La présence de trois gisements de pétrole sur le territoire cédé à la Tchétchénie renforce le sentiment d’injustice. Si l’Ingouchie dispose de quelques ressources naturelles comme l’eau minérale, le gaz ou le métal, ces dernières ne suffisent pas à assurer la prospérité économique. Ainsi, le gouvernement local tente de développer le tourisme, une entreprise compliquée dans une région soumise à de nombreuses tensions. Les groupes islamiques terroristes sévissent dans l’ensemble du Caucase Nord et les attentats sont fréquents. En 2004, une attaque a fait des dizaines de morts, ce qui a poussé le Kremlin à améliorer les dispositifs de sécurité régionale. Toutefois, les violences demeurent, au milieu desquelles la population ingouche est une victime collatérale permanente.

Il est incertain d’affirmer que la contestation continuera suite à la décision de la Cour, ou que Moscou parviendra, une fois de plus, à étouffer le mouvement. Toutefois, les ambitions de conquête tchétchènes ne laissent pas présager un avenir favorable pour la petite république ingouche.

 

Sources:

https://www.lemonde.fr/international/article/2018/12/08/les-ingouches-amers-apres-la-validation-de-la-nouvelle-frontiere_5394559_3210.html

https://www.courrierinternational.com/article/russie-les-ingouches-ne-veulent-pas-de-la-frontiere-avec-la-tchetchenie

https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/10/23/dans-le-caucase-russe-les-ingouches-se-revoltent-pour-leur-terre_5373358_3214.html

https://www.bbc.co.uk/news/world-europe-20615790

 

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Clara JALABERT

Clara JALABERT est étudiante en Master International Security à l'école d'affaires internationales de Sciences Po. Elle se spécialise dans l'étude de l'Asie et des risques sécuritaires.

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