Le Kosovo, le plus réel des États fantômes ?
Le Kosovo a proclamé son indépendance le 17 février 2008, peu après la fin des guerres en ex-Yougoslavie, mais l’émergence de la nation puis de l’État kosovar est le fruit d’un processus ancien.
Présentation générale du Kosovo
Situé entre la Serbie, la Macédoine du Nord, l’Albanie et le Monténégro, le Kosovo s’étend sur 10 887 km² et compte 1,79 million d’habitants. Les langues officielles sont l’albanais et le serbe, le bosniaque et le turc sont également reconnus dans certaines municipalités.
L’histoire du Kosovo est ancienne. En effet, cette région est le point de rencontre et de confrontation entre le monde slave (Empire austro-hongrois puis Serbie) et le monde musulman (Empire ottoman puis Albanie). La « bataille de Kosovo » (15 juin 1389) constitue la première occurrence d’affrontement entre ces deux mondes. Elle marque également le début de la domination ottomane dans les Balkans, effective sur tout le territoire kosovar en 1454.
Autre fait historique important, la majorité des chrétiens (principalement Serbes) fuit la région durant la grande migration de 1690.
Fin 1878, le traité de Berlin reconnait l’indépendance de la Serbie, mais le Kosovo reste attaché à l’Empire ottoman. En 1912, la conférence des ambassadeurs signe le rattachement du Kosovo à la Serbie. Après l’éphémère Royaume de Yougoslavie (1918-1941), la Seconde Guerre mondiale vit le Kosovo rattaché à l’Albanie, alors sous domination italienne. La libération puis l’unification de la Yougoslavie sous l’impulsion de Tito profitèrent à l’autonomie kosovare, officiellement reconnue en 1945. En 1974, il dote la province d’une assemblée et d’un gouvernement. Avec la mort du maréchal en 1980 et la fracturation progressive de l’unité yougoslave, le nationalisme kosovar, né dans les années 1970, prend davantage de place. L’opposition entre Albanais (majoritaires) et Serbes au Kosovo se fait de plus en plus violente durant les années 1980.
La prise de pouvoir progressive de Milosevic sur la province (jusqu’à l’abolition du statut d’autonomie le 22 février 1989) suscita des réactions violentes, et une guérilla éclata contre les forces serbes. Bien qu’une première déclaration d’indépendance kosovare voit le jour en 1990 (l’Albanie seule la reconnaitra), ce n’est qu’après la fin de la guerre en Bosnie que les forces kosovares se structurent autour de l’Armée de Libération du Kosovo (UCK, soutenue en sous-main par les services de renseignement allemands[1] et américains). La guerre du Kosovo (1998-1999) se caractérisa par l’expulsion de centaines de milliers d’Albanais, les bombardements de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) sur Belgrade et de nombreuses accusations de crimes de guerre dans les deux camps.
À la fin de la guerre, le Kosovo est placé sous administration de l’Organisation des Nations unies (ONU, résolution 1244). Prévues par la résolution, les négociations en vue de l’indépendance s’ouvrent en 2006. Cependant, elles n’aboutiront jamais réellement, et le 17 février 2008, le Kosovo proclame unilatéralement son indépendance. Quatre-vingt-treize États, dont la France (18 février 2008), reconnaissent le Kosovo.
Objectifs et stratégie géopolitique
Comme la plupart des « États fantômes », le Kosovo remplit sans conteste les trois premiers critères de Montevideo (être peuplé en permanence, contrôler un territoire défini et avoir un gouvernement). Concernant sa capacité à correspondre avec les autres États, le Kosovo possède des ambassades dans de nombreux pays. La plupart sont en Europe, mais on en trouve également aux États-Unis, en Israël, ou encore au Sénégal. Ainsi, le Kosovo, de facto indépendant de la Serbie qui n’y exerce plus aucun pouvoir depuis plus de vingt ans, constitue l’un des cas les plus avancés d’« État fantôme ». Membre du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, il ne lui reste à franchir que la dernière étape vers la reconnaissance internationale complète : l’adhésion à l’ONU. C’est donc vers cet objectif que se tourne toute la stratégie du pays à l’international.
Cette stratégie doit faire face à des considérations géopolitiques qui la dépasse. En effet, comme la plupart des oppositions actuelles (inter ou intra-étatiques), la grille de lecture « the West vs the Rest »peut s’appliquer à la reconnaissance internationale du Kosovo. En effet, la majorité des pays de l’OTAN et de l’Union européenne (UE, 22 sur 27), le reconnaissent. Cependant, aucun des cinq membres fondateur des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ne reconnaissent son indépendance. Au sein de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), il bénéficie uniquement de la reconnaissance du Pakistan. Enfin, au sein du Conseil de sécurité de l’ONU (P5), la Russie et la Chine s’opposent à son indépendance.
Il est aussi intéressant de constater que la cause kosovare ne fait pas l’unanimité au sein des pays arabes (contrairement, par exemple à la Palestine), bien qu’il soit majoritairement composé de musulmans. En effet, si l’Égypte et l’Arabie saoudite le reconnaissent, l’Iran, l’Algérie, et le Maroc s’y refusent.
Ainsi, la stratégie kosovare est résolument tournée vers l’Ouest.
Plan et mode d’action
Les principaux alliés du Kosovo étant occidentaux, il adapte ses modes de revendication à ses soutiens.
Dans ce cadre, si des tensions et des affrontements sporadiques persistent entre le Kosovo et la Serbie, depuis l’intervention de l’OTAN en 1999 (qui assure toujours la protection du pays) et la dissolution de l’UCK, les acteurs politiques kosovares ont choisi de faire valoir leur cause par des moyens pacifiques. Ainsi, le préambule de la Constitution (adoptée en avril 2008) mentionne explicitement les velléités pacifistes du Kosovo.
Le Kosovo entretient également des liens très étroits avec l’UE. En effet, le pays, qui a présenté sa demande d’adhésion fin 2022, bénéficie depuis 2008 de la reconnaissance de l’UE. Avant l’indépendance, l’UE a toujours soutenu la cause kosovare, poussant notamment, dès 2000, pour un statut douanier et des mesures commerciales autonomes. De plus, l’UE a conditionné l’accession de la Serbie au statut de candidat à l’adhésion à la normalisation de ses relations avec le Kosovo (chose faite le 19 avril 2013). Coté kosovar, le préambule de la constitution mentionne explicitement « l’intégration euro-atlantique ». De même, en 2002, le Kosovo a fait, unilatéralement, le choix de prendre l’euro comme monnaie officielle.
Enfin, la Cour internationale de justice (CIJ) a rendu en 2010, suite à une action intentée par la Serbie à l’Assemblée générale de l’ONU, une décision favorable concernant la conformité au droit international de la déclaration d’indépendance du Kosovo. Cette décision constitue un argument de poids en faveur du Kosovo. Toutefois, elle ne statue en rien sur l’attribution ou non du qualificatif d’Etat concernant le Kosovo.
[1] Roger Fallgot, « How Germany Backed KLA », The European, 21-27 septembre 1998, p. 21-27.