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Erdoğan en guerre contre une certaine Turquie

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Mustafa Kemal ne comprendrait certainement pas comment son pays en est arrivé là. Après une décennie au pouvoir, Recep Tayyip Erdoğan et l’AKP font face à une contestation durable et vindicative, même si la violence des premiers jours semble avoir laissé place à des manifestations passives. L’objet de toutes les violences des semaines passées : la décision du gouvernement de transformer le parc Gezi en centre comme. Et Erdoğan apparaît aujourd’hui comme un dictateur mettant tous les moyens possibles à disposition afin d’en finir avec les manifestants.

La Turquie a souvent été érigée en élève modèle du Moyen-Orient. Mis à part les emprisonnements de journaliste régulièrement dénoncés par reporters sans frontières, la Turquie possède une démocratie fonctionnelle avec des élections régulières, connaît une croissance économique soutenue avec plus de 5%[1] de croissance annuelle moyenne depuis 2003 (même en comptant les deux années « sacrifiées » 2008-2009) et n’a plus besoin de l’armée pour rétablir la laïcité voulue par Atatürk tous les 5-6 ans. Tout ceci avait conféré à la Turquie une image d’Etat moderne et ayant vocation à prendre le leadership au Moyen-Orient, tout en étant un partenaire privilégié d’Israël.

Las, cette image est partie en fumée depuis plus de trois semaines et la décision du gouvernement de raser un parc pour y construire un centre commercial. Si les écologistes se sont tout d’abord mobilisés contre l’arrachage des arbres du parc, c’est ensuite tout un pan de la population turque, étudiants, artistes, avocats, médecins qui s’est érigée contre Erdoğan. Celui-ci n’ayant pas l’habitude d’être contesté aussi fortement, il a adopté une ligne dure pour renvoyer les manifestants chez eux, manu militari le cas échéant. Twitter a depuis lors été inondé de photos, toutes les plus sanglantes et choquantes que les autres.

Au-delà de ça, c’est surtout l’autoritarisme d’Erdoğan qui inquiète. En effet, s’il n’est jamais agréable de voir ses projets mis à mal par une minorité, il semble en train de sombrer dans une politique d’effacement de toute opposition et ce, pour un vulgaire centre commercial. Comment comprendre cette absence totale de sens politique ? Erdoğan n’a certainement plus l’habitude d’être malmené de quelconque façon que ce soit (depuis son bref passage en prison de 1998 à 2001, il a toujours été en position de force) et s’entête donc face à des manifestants, tout d’abord décrits comme des agitateurs de la pire espèce. Il aurait par ailleurs lancé cet ultimatum le 15 juin : « Notre parti organise demain un rassemblement à Istanbul. Je le dis sans ambages: la place Taksim doit être évacuée, faute de quoi les forces de l’ordre sauront comment y parvenir ».

Erdoğan adopte une ligne dure très contre-productive.

Les manifestations ne sont pas prêtes de s’arrêter. Le tout est de savoir si Erdoğan va continuer à s’entêter dans sa ligne dure quitte à véritablement passer pour un dictateur et perdre les prochaines élections. S’il garde le soutien de la majorité des turcs qui, comme lui, voient les manifestants comme des agitateurs, la répression qu’il conduit laissera nécessairement des traces profondes. Compte tenu du tournant non-violent des manifestations, à l’image de Duran Adam, debout immobile sur la place Taksim, Erdoğan ne peut se permettre de continuer ses attaques verbales d’une violence inouïe et qui risquent d’aliéner la frange modérée de son électorat. Si l’AKP détient aujourd’hui 326 sièges sur 550 à la Grande assemblée nationale de Turquie, il est fort à parier qu’il en perde aux prochaines élections l’année prochaine et ce, comme conséquence directe de son intransigeance.



[1] Source : FMI, World Economic Outlook database

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