Genève 2, imbroglio diplomatique
S’est ouverte mercredi 22 janvier dernier à Montreux la conférence dite « Genève 2 », réunissant autour d’une même table des émissaires du gouvernement Assad et les principaux représentants de l’opposition, sous l’égide des grandes puissances et de l’ONU. Pour important que puisse paraître un tel évènement, les chances d’arriver à des réelles avancées sont minces tant les conceptions et présupposés que chacune des parties se font du sommet s’opposent.
La tenue ou non de la conférence elle-même est longtemps restée incertaine, la Coalition Nationale Syrienne (CNS) refusant absolument tout contact avec le régime en l’absence de garanties quant à la destitution de Bachar Al-Assad de la tête du pays. Ce n’est qu’après un long processus de tractations internes et sous la pression combinée des chancelleries occidentales et des monarchies du Golf (Qatar et Arabie Saoudite), menaçant de cesser l’approvisionnement en armes et outils logistiques, que l’opposition a accepté de participer aux négociations. Une participation de nouveau remise en question le lundi précédant l’ouverture du sommet, du fait de l’annonce par Ban Ki-moon, secrétaire général de l’ONU, de la présence éventuelle d’émissaires iraniens en Suisse. Bien qu’encouragée par les États-Unis, cette ouverture s’est vite refermée devant l’indignation manifestée par les membres de la CNS.
À ce désordre préalable à l’ouverture même des négociations s’ajoutent les divisions internes à chacun des grands camps en présence. La représentativité de la CNS n’est d’abord pas évidente tant l’opposition syrienne s’est progressivement élargie et morcelée au cours des bientôt trois années de conflit. Aux citoyens réclamant initialement plus de droits politiques et de meilleures conditions de vie se sont peu à peu joints – avec la tournure confessionnelle des évènements voulue par Assad- des combattants et brigades sunnites, bientôt devenus principale force d’opposition parce que mieux équipés et entraînés. Le front al-Nosra, affilié à Al-Quaeda, ne fait ainsi naturellement pas parti de la CNS et un éventuel accord serait donc de facto limité dans son efficacité car non contraignant pour les forces jihadistes.
Sur le plan des puissances étatiques aussi la situation est confuse. Outre les absences de l’Iran et du Hezbollah, principaux soutiens du régime alaouite, qui limitent là encore la portée du sommet, les avis divergent quant à la suite à donner au communiqué final de « Genève 1 ». Émis fin juin 2012, les membres permanents du conseil de sécurité onusien y annonçaient avoir trouvé un accord de principe quant à la constitution d’un gouvernement de transition, composé de membres du gouvernement actuel et de personnalités de l’opposition, sans toutefois préciser l’avenir qui échoierait au président Assad. Si les Occidentaux s’expriment clairement en faveur de son départ, les Russes et les Chinois n’y voient eux aucune obligation et préfèrent insister sur l’arrêt des combats, à l’image des émissaires du gouvernement syrien qui insistent, en référence aux financements qataris et saoudiens, sur le « terrorisme » financé par des puissances étrangères.
Un terme lourd de sens tant il laisse comprendre – à travers le mépris de l’opposition qui y transparaît – que le gouvernement actuel et son président se considèrent encore comme les seuls détenteurs légitimes du pouvoir politique. Aussi la conférence de Genève risque-t-elle de faire le jeu du clan Assad, qui après la crise et la relative marginalisation qu’il avait eu à affronter au moment des attaques chimiques, retrouve le chemin du « label diplomatique » et de la légitimité qui l’accompagne. Déjà mal engagé car manipulé et mal préparé, l’actuel sommet pourrait donc bien, in fine, se révéler assez contre-productif…