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Kobané : miroir de l’ambiguïté de la politique turque face à la crise syrienne et l’EI

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L’image a fait le tour du monde : des chars turcs immobiles, face à une ville de Kobané en flamme, en proie aux combats entre kurdes et jihadistes. Cette ville, devenue un symbole pour la communauté internationale, traduit toute l’ambivalence de la politique étrangère turque au Proche-Orient.

Des soldats turcs en position face à la ville de Kobané
Des soldats turcs en position face à la ville de Kobané
Si l’objectif actuel de la Turquie reste la chute de Bachar el-Assad, cela n’a pas été tout de suite le cas. Depuis 2007, Ankara et Damas étaient plutôt en bons termes. En 2011, lorsque les révolutions arabes surgissent, Bachar el-Assad fait directement le choix de la répression plutôt que celui de la négociation. La Turquie, après avoir envoyé plusieurs émissaires à Damas, finit par rompre avec le gouvernement Assad dont elle n’approuve pas la manière de traiter le problème et parie sur sa chute prochaine.

Ankara fait alors le choix de soutenir la rébellion syrienne, et globalement tolère les mouvements jihadistes agissant en Syrie et en Irak. La Turquie y voit alors différents avantages : cela affaiblit plusieurs de ses adversaires régionaux (Syrie, Irak) et occupe l’attention d’une autre grande puissance régionale, l’Iran. De plus, tous les trafics qui ont lieu à sa frontière (armes, pétrole) sont des sources d’enrichissement considérables pour le régime turc. Enfin, cela permet à Ankara d’empêcher la création d’une zone autonome, voire indépendante, au Nord-Est de la Syrie où le Parti de l’Union pour la Démocratie (PYD) kurde syrien gouvernerait, tout en devenant de facto une base-arrière du mouvement du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), classé comme organisation terroriste en Turquie, par l’UE et les Etats-Unis.

Si l’on peut considérer qu’Ankara a laissé une grande marge de manœuvre aux mouvances jihadistes, dont l’EI (Etat Islamique), on ne peut tomber dans la simplification d’un réel soutien de la Turquie. Il y a tout d’abord une forte différence doctrinale entre le mouvement politique turc de l’AKP et celui de l’EI. De plus, la Turquie n’est pas totalement passive : des flux de réfugiés arrivent continuellement sur son territoire, et de nombreux hôpitaux ont été mis en place. Ankara a également réduit le débit de l’Euphrate, provoquant l’arrêt des turbines du barrage du Tichrin qui est aux mains de l’EI.

Quel engagement pour la Turquie dans la coalition ?

On assiste toutefois à un tournant ces dernières semaines dans la politique turque vis-à-vis de l’EI et de la crise syrienne. Le relâchement en Juillet dernier de quarante-six de ses ressortissants capturés à Mossoul, la menace sur ses partenaires kurdes d’Irak, la pression internationale grandissante et la croissance menaçante du problème jihadiste ont contribué à ce revirement. Le président Erdogan a alors annoncé le 23 Septembre dernier le soutien de la Turquie à la coalition internationale contre l’EI.

Toutefois, le dilemme de l’intervention reste inchangé. Sous quel mandat et dans quel but la Turquie devrait-elle intervenir ? Les réticences d’Ankara à intervenir sont compréhensibles : la Turquie ne dispose pas d’un mandat de l’ONU pour légitimer son intervention, et les objectifs politiques de cette coalition anti-EI ne sont pas clairement définis. De plus, la Turquie pas plus que les autres pays occidentaux n’a envie d’engager des troupes militaires au sol. Cela se comprend d’autant plus quand on sait que la Turquie n’a mené que deux grandes opérations militaires majeures depuis 1945 (En Corée en 1952 et à Chypre en 1974).

La Turquie est pour le moment surtout favorable à la création d’une zone tampon d’une trentaine de kilomètres à l’intérieur de la Syrie. Elle répondrait à un double objectif : permettre d’y placer les réfugiés (qui sont près de 1.500.000 actuellement en Turquie) et prendre le contrôle de cette zone en empiétant sur cette région aux mains du PYD.

Si le cas de Kobané est révélateur du poids que pèse Ankara au Proche-Orient, il éclaire aussi sur son échec à devenir la puissance régionale espérée. Ses liens plus ou moins clairs avec des groupes extrémistes, ses mauvais calculs sur la chute à venir du régime de Damas, ses inflexions sur le dossier syrien montrent que la Turquie n’est pas encore prête pour le rôle de puissance centrale et stabilisatrice qu’elle espère dans la région.

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