Que se passe-t-il entre Riyad et Téhéran ?
Le 3 novembre dernier, le président iranien Hassan Rohani annonçait, menaçant, la sortie éventuelle de la République islamique de la table de négociations autour de la crise syrienne. Évoquant l’influence négative de la diplomatie saoudienne au sein de ce groupe diplomatique, M. Rohani a une fois de plus provoqué l’ire du royaume sunnite. Alors que l’Iran est en passe de sortir de son statut de paria sur la scène internationale, l’Arabie Saoudite cherche, quant à elle, à conserver ses moyens d’influence auprès des Etats-Unis et son leadership au Moyen-Orient.
La réunion de la semaine passée à Vienne avait pour objectif premier de convier, à une même table de négociations, l’ensemble des acteurs de la crise syrienne pour établir les prémices d’un plan de transition politique en Syrie. L’on s’en doute aisément, aucune solution concrète n’a pu être trouvée à l’issue de la rencontre. Celle-ci a plutôt été l’occasion pour les leaders régionaux que sont l’Iran et l’Arabie Saoudite de se retrouver, pour la première fois, autour d’une table de négociations. L’occasion donc de pouvoir s’affronter directement, et non plus seulement par déclarations officielles interposées.
Depuis des mois, la diplomatie saoudienne subit de plein fouet la tendance baissière des cours pétroliers, l’or noir représentant plus de 40% de son PIB, et près de 87% des revenus de ses exportations(1). Cette baisse des cours, l’Arabie Saoudite l’avait elle-même fortement entretenue pour deux raisons. Premièrement, le royaume saoudien souhaitait montrer aux Etats-Unis la dépendance que ceux-ci entretiennent vis-à-vis du pétrole saoudien. L’essor du pétrole de schistes (une aubaine pour les Américains qui souhaitent s’affranchir des dépendances énergétiques au Moyen-Orient) inquiète Riyad au plus haut point et le maintien d’une surproduction de la part de l’Arabie Saoudite avait empêché le développement de projets américains, devenus non rentables sous la barre des 80 dollars le baril. La production surcapacitaire visait en second lieu l’Iran qui, au gré du déblocage partiel des sanctions économiques qui lui étaient imposées jusqu’à peu, pourrait revenir parmi les plus grands producteurs pétroliers au monde. Une perspective qui demanderait néanmoins des investissements étrangers afin de reconstruire les infrastructures détruites pendant la guerre Iran-Irak; ces investissements ne seraient profitables que sous la condition d’un cours du pétrole élevé.
Mais Riyad s’est faite prendre à son propre piège. Avec un taux de diversification de son économie parmi les plus faibles au monde, l’Arabie Saoudite ne peut amortir le choc de la demande provoqué par la Chine cet été. Pis encore, l’Iran, cible directe de la stratégie saoudienne, n’a pratiquement pas été affecté par celle-ci. Les sanctions économiques imposées à la République islamique, notamment concernant la production de pétrole, avaient forcé Téhéran à développer des sources d’énergie alternatives. Conséquence, l’Iran figure parmi les nations les plus avancées dans les énergies solaires et trouve auprès de la Chine un fournisseur de qualité, à bas coût.
Sur le plan diplomatique, l’Iran gagne du terrain au Yémen, théâtre de l’affrontement entre la minorité Houthie chiite et la coalition arabe, menée par Riyad, qui vise à restituer le président déchu Rabbu Mansour Hadi. Lancée en mars, l’opération saoudienne « Tempête Décisive » ne parvient pas à reprendre durablement les villes de Taez et d’Aden, cette dernière étant désormais tombée aux mains de l’Organisation de l’Etat Islamique.
Un tournant stratégique au Moyen-Orient:
Enlisée au Yémen, sulfureuse dans ses accointances en Syrie, Riyad, acculée, tente de trouver des portes de sortie à la situation actuelle. Les stocks de pétrole s’accumulent dans le désert saoudien et les futurs clients pourraient se trouver…en Europe. La société de raffinage polonaise Lotos a récemment mentionné la diversification de ses approvisionnements en pétrole (jusque-là très majoritairement composés de pétrole russe) en faveur de l’Arabie Saoudite. La démarche saoudienne vient donc une fois de plus apporter de l’eau au moulin de la sempiternelle question de la diversification des approvisionnements européens en énergie.
De son côté, Téhéran a profité des négociations sur son programme nucléaire pour redorer son blason auprès des délégations occidentales, tout en cultivant une dynamique de rapprochement avec Moscou*. La crise syrienne et la prise de participation iranienne à sa résolution ne sont en réalité que les manifestations les plus visibles de ce grand retour de la République islamique dans le leadership régional, aux dépens bien entendu de Riyad.
En définitive, la poussée iranienne dans le leadership régional au Moyen-Orient contraint l’Arabie Saoudite à regarder vers l’Ouest. Les rapprochements avec l’Union Européenne (et notamment la France) ou encore l’Egypte -malgré les récents troubles diplomatiques – n’en sont que les premiers témoignages. Moscou et Pékin, au travers de l’Iran, pourraient quant à elles s’intéresser prochainement au conflit yéménite, dont l’issue aura sans aucun doute des répercussions sur l’accès au détroit de Bab-el-Mandeb. Cet appui sino-russe dans la région confortera de manière durable Téhéran. Un confort qui pourrait réveiller de vieux désirs stratégiques, alors que les manœuvres de démantèlement des infrastructures nucléaires iraniennes, prévues par l’accord du 14 juillet, viennent seulement de débuter.
(1) Source: www.diplomatie.gouv.fr
* la livraison des missiles russes sol-air S-300 est en cours de négociation et les transferts technologiques entre les deux pays se multiplient ces derniers mois, notamment sur le nucléaire civil.