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Le Qatar, un dissident à la stratégie gagnante ?

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Le lundi 3 décembre, le nouveau ministre de l’énergie du Qatar a créé la surprise en annonçant le retrait de l’émirat de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP). Cette organisation intergouvernementale a vu le jour en 1960. Elle a pour objectif de réguler tous les aspects liés à la production du pétrole. Elle fixe ainsi les quantités et les prix. Si son influence a chuté depuis les années 90, elle demeure un symbole important. La décision de Doha intervient dans un contexte diplomatique compliqué, alors que l’émirat se trouve de plus en plus isolé régionalement et cherche à se réinventer.

Une décision politique dans un contexte de tensions régionales

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Le Qatar, en pleine réforme, se tourne vers la production de gaz

Ce retrait apparaît comme un revers pour l’Arabie Saoudite, chef de facto de l’organisation, qui tentait jusqu’à présent d’afficher l’unité à l’approche d’une importante réunion. En effet, les prix du pétrole sont en chute depuis bien des mois maintenant, ce qui menace directement les pays rentiers tels que les monarchies du Golfe. Le gouvernement qatari a tenté de rassurer les esprits en affirmant que cette décision n’était pas politique. Toutefois, le ministre de l’Energie ne s’est pas privé de glisser un commentaire acerbe sur l’hégémonie de Riyad au sein de l’OPEP, sans citer le pays explicitement. L’origine des frictions entre le Qatar et l’Arabie Saoudite remonte à l’année passée, quand Riyad a décidé de rompre tout échange avec l’émirat, entraînant une crise politique majeure. Les Emirats arabes unis, le Bahreïn et l’Egypte ont suivi l’Arabie Saoudite, ce qui provoqua l’isolement régional du Qatar. Les griefs exprimés se condensaient autour de la question du financement du terrorisme par l’émirat et de sa proximité avec des groupes tels qu’Al-Qaïda et l’Etat Islamique. En réalité, le conflit saoudo-qatari est avant tout idéologique. Les deux pays défendent deux visions opposées de l’islam politique et s’affrontent pour l’influence régionale dans des guerres par procuration. Dans le conflit yéménite, par exemple, le Qatar aide les rebelles tandis que l’Arabie Saoudite finance le gouvernement en place. Les relations diplomatiques n’ont toujours pas été restauré entre les deux pays depuis la crise de juin 2017.  Selon une note du Fonds Monétaire Internationale, environ 40 milliards de dollars ont été retirés des banques qataries en conséquence de la rupture. Toutefois, le blocus n’a eu qu’un « effet transitoire » selon les experts, du fait de la réactivité de Doha.

Le succès dans l’adversité ?

L’Arabie Saoudite tablait sur une victoire facile face au Qatar. En effet, du fait de son influence régionale, le gouvernement saoudien a pu mobiliser facilement contre l’émirat. De plus, Riyad bénéficiait du soutien des Etats-Unis, un allié de taille. Contre toute attente, le gouvernement qatari n’a pas plié et a même su tirer avantage de la crise. La banque centrale a puisé dans ses réserves pour maintenir à flot les banques qui n’ont pas fait défection. Cette résilience a démontré la capacité d’indépendance de l’émirat. En effet, le Qatar a souvent connu des problèmes d’auto-suffisance. En juin 2017, 99% de ses produits alimentaires étaient importés et 80% d’entre eux étaient acheminés par la route, à travers l’Arabie Saoudite. Déterminée à ne pas capituler, Doha a multiplié les stratégies pour s’approvisionner différemment.  L’une des mesures les plus spectaculaires demeure l’importation, par avion, de 14 000 vaches laitières. Cet entêtement fut payant. Les indicateurs économiques affichent une santé insolente. La croissance, qui était de 2,1% en 2017, augmente à 2,7% en 2018, malgré les effets du blocage.  La finance qatarie se porte très bien avec une hausse de 6,6 % des gains des banques. Ces dernières sont solvables et les investissements étrangers s’accroissent du fait de nouvelles politiques innovantes. De plus, le Qatar souhaite diversifier son économie face à l’instabilité du cours du pétrole. Ainsi, sa décision de quitter l’OPEP est liée à cet objectif de se concentrer sur une nouvelle ressource : le gaz. L’émirat s’est fixé comme but la production de 110 millions de tonnes, contre 77 millions actuellement. Alors que l’avenir semble s’assombrir pour les pays rentiers du pétrole, l’émancipation du Qatar fait figure de provocation.

Éclaboussée par le scandale de l’affaire Khashoggi, l’Arabie Saoudite apparaît moins légitime dans ses critiques vis-à-vis du Qatar et de ses liens à des groupes terroristes. Les acolytes de Riyad se trouvent également dans la tourmente. Les Emirats arabes unis, empêtrés dans des difficultés économiques, ont été forcés à ouvrir complètement le capital de leurs entreprises aux investisseurs étrangers. Dans une région du monde où la lutte d’influence est cruciale, la dissidence qatarie est vécue par beaucoup comme une menace. Doha a gagné une bataille, gagnera-t-elle la guerre ?

Sources

https://www.lemonde.fr/international/article/2018/12/03/le-qatar-annonce-son-depart-de-l-organisation-des-pays-exportateurs-de-petrole_5391842_3210.html

https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-183563-comment-le-qatar-a-transforme-lembargo-en-opportunite-2181376.php

https://www.reuters.com/article/us-qatar-opec/qatar-to-leave-opec-and-focus-on-gas-as-it-takes-swipe-at-riyadh-idUSKBN1O20DT

https://www.imf.org/en/Publications/CR/Issues/2018/05/30/Qatar-2018-Article-IV-Consultation-Press-Release-Staff-Report-and-Statement-by-the-Executive-45915

 

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Clara JALABERT

Clara JALABERT est étudiante en Master International Security à l'école d'affaires internationales de Sciences Po. Elle se spécialise dans l'étude de l'Asie et des risques sécuritaires.

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