Liban : démission du gouvernement, et maintenant ?
La colère suscitée par l’explosion du 4 août à Beyrouth a conduit à la chute du gouvernement Diab, six mois après sa prise de fonction. Alors que le mouvement de révolte pacifique débuté en octobre 2019 bascule désormais dans la violence, le devenir politique du pays à court terme soulève de nombreuses interrogations.
Contexte
Depuis le 17 octobre dernier, le Liban connaît un mouvement de contestation d’une ampleur inédite. La crise économique et la détérioration du niveau de vie constituent le moteur de la révolte. Dénonçant une classe politique jugée incompétente et corrompue, le mouvement obtient rapidement la démission du gouvernement de Saad Hariri. Les contestataires réclament alors la formation d’un gouvernement d’experts indépendants des partis politiques. En décembre, Hassan Diab est nommé Premier ministre par le président Aoun. Il est immédiatement confronté à l’hostilité de la rue, qui lui reproche d’être inféodé aux partis confessionnels. Au printemps, l’épidémie de Covid-19 aggrave encore davantage une situation économique déjà intenable. Le cours de la livre libanaise s’effondre face au dollar.
Conséquences de l’explosion du 4 août
Après le choc de l’explosion du mardi 4 août à Beyrouth, qui a fait plus de 170 victimes, la stupeur laisse rapidement la place à la colère, lorsqu’est révélée la présence de 2750 tonnes de nitrate d’ammonium dans un hangar du port, depuis 2014. Sur les réseaux sociaux, de nombreux Libanais appellent à faire payer aux politiciens leur négligence et leur corruption. Samedi 8 août, les Libanais se rassemblent par milliers place des Martyrs à Beyrouth, réclamant des comptes à leurs gouvernants. La journée est marquée par de nombreux affrontements entre manifestants et forces de l’ordre. Un agent des Forces de sécurité intérieure est tué et plus de 230 protestataires blessés. La foule prend d’assaut et occupe plusieurs ministères. Lundi 10 août, après la démission de plusieurs de ses ministres, Hassan Diab annonce celle de son gouvernement.
Suites politiques
La nomination d’un nouveau Premier ministre dépend désormais des tractations entre les principaux leaders politiques. Alors que le mouvement de contestation réclame toujours la nomination de ministres totalement indépendants des partis, afin de sortir le pays de la crise, ces derniers semblent peu disposés à abandonner le pouvoir. Saad Hariri, pourtant conspué par la rue et qui a perdu toute crédibilité, compterait parmi les favoris.
Depuis 2005, la scène politique libanaise est divisée entre deux coalitions, l’Alliance du 8 Mars et l’Alliance du 14 Mars. Alors que le 8 Mars rassemble les partis politiques proches de l’axe iranien, le 14 Mars est proche de l’Arabie saoudite et des Occidentaux. Pourtant, tous ces partis collaborent régulièrement dans des gouvernements d’union nationale. Ce sont précisément ces ententes entre les différents chefs communautaires qui suscitent l’exaspération des protestataires, qui voient là un « partage du gâteau » de l’argent public et de la corruption. Le système confessionnel, régime politique en vigueur au Liban, prévoit en effet une répartition des postes politiques entre les différentes communautés. Ce système permet à une dizaine de partis confessionnels, organisés autour de chefs communautaires, de maintenir une forme de statu quo politique. Sans une remise à plat du régime, revendication portée par le mouvement de contestation, aucune évolution n’est à espérer.
Des législatives pour quoi faire ?
Deux jours avant sa démission, Hassan Diab avait annoncé la tenue d’élections législatives anticipées. C’est ce que réclament de nombreux contestataires et certains partis confessionnels, notamment les Kataeb et les Forces libanaises. Un tel scrutin aurait en réalité peu de chances de déboucher sur un renouvellement en profondeur du Parlement, la loi électorale étant taillée sur mesure pour favoriser les partis confessionnels. Lors des dernières législatives, en 2018, Koullouna Watani, une coalition de partis issus de la société civile, n’avait obtenu qu’un seul siège sur les 128 du Parlement.
Des législatives anticipées, dans la configuration actuelle, modifieraient donc peut-être les rapports de force entre partis confessionnels, mais ne permettraient pas une percée significative des partis alternatifs. Ces derniers représentent pourtant la vraie opposition au Liban. Ils réclament actuellement la formation d’un gouvernement de technocrates indépendants. Celui-ci devrait alors mener des réformes structurelles et rédiger une nouvelle loi électorale. Cette option permettrait de restaurer un minimum de confiance de la communauté internationale dans le Liban. Elle permettrait ainsi d’envisager le déblocage des 11 milliards de dollars de prêts et de dons promis au Liban lors de la conférence CEDRE de Paris, en 2018. Faute de réformes significatives, les donateurs internationaux avaient par la suite bloqué ces aides.