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L’entrée tardive des femmes dans l’Histoire française (2/2)

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La transparence civique des femmes et le faible intérêt qui leur est apporté se résorbent lentement à la fin du XXème siècle, grâce à une médiatisation progressive de leurs combats et à des décisions politiques fortes.

Gisèle Halimi, lors du procès de Bobigny en 1972, dénonce la loi de 1920 qui pénalise l’avortement
Gisèle Halimi, lors du procès de Bobigny en 1972, dénonce la loi de 1920 qui pénalise l’avortement

Les revendications de l’après-guerre

Le régime de Vichy, qui se veut moderne, voit un net recul de la reconnaissance de la femme. De manière générale, l’historiographie française souligne, à raison, les grandes figures masculines de la Résistance mais fait l’économie des symboles féminins de celle-ci. Pourtant, les noms de famille restent familiers du grand public, mais ce sont les prénoms qu’il s’agit de mettre en exergue. Ainsi, pour n’en citer que quelques unes, l’action dans la Résistance de Geneviève de Gaulle (fille de Charles de Gaulle), Laure Moulin (sœur de Jean Moulin) ou Lucie Aubrac (épouse de Raymond Aubrac) n’est que rarement soulignée. Surtout, les femmes apparaissent comme les grandes victimes de la Libération. A travers les tontes pratiquées sur les femmes accusées d’avoir coopéré, ce sont de nombreux corps déféminisés et stigmatisés qui sont, pour la première fois, appelés à voter (le droit de vote leur étant accordé en mars 1944).

La Constitution de 1946 pose, dans son préambule, la notion d’ « égalité » entre hommes et femmes comme principe fondamental. Cependant, le poids des femmes dans le domaine politique demeure, paradoxalement, très faible. Ainsi, à l’Assemblée nationale, la proportion de femmes députées de la République ne dépasse pas 3% dans les années 1950 et 1960.

L’immédiat après-guerre est également marqué par l’abrogation de la prostitution organisée et l’interdiction des Maisons Closes, par la loi Marthe Richard de 1946. La parole féministe se retrouve désormais incarnée par des figures importantes, telles que Simone de Beauvoir qui publie, en 1949, Le deuxième sexe, thèse dans laquelle on retrouve la citation célèbre : « on ne naît pas femme, on le devient ». Cette œuvre provoque d’abord une véritable indignation, ce qui explique que sa vente est dans un premier temps, un succès aux Etats-Unis, avant de pénétrer les foyers français. Simone de Beauvoir dénonce, par ce biais, un malaise intime et personnel des femmes dans la société, fait de réalités passées sous silence : monotonie du foyer, avortements clandestins… C’est sur cette base que se forment des organisations comme le Mouvement Jeune Femme et le Mouvement français pour le planning familial, rassemblées autour du slogan « Un enfant si je veux quand je veux ». Une première étape législative est franchie en 1967 avec la loi Neuwirth qui autorise la vente de produits contraceptifs.

A partir des années 1970, le temps des « 1001 combats »

L’ensemble des courants se rassemble en 1968 sous une unique bannière, le Mouvement de Libération des Femmes (MLF).  Le MLF se distingue par de nombreuses manifestations et provocations publiques qui prennent la forme de slogans cinglants, comme celui-ci : « Il y a plus inconnu que le Soldat Inconnu : sa femme » lors d’une cérémonie de commémoration du 11 novembre.

Dans le domaine de l’emploi, une série de lois répond à une tendance de fond : la hausse du travail salarié féminin et le rééquilibrage hommes-femmes dans la population active (46% de femmes à la fin du siècle). En 1972,  une loi sur l’égalité de salaire pour un travail équivalent est adoptée. En outre, la création des contrats-crèches en 1983 et la démocratisation du temps partiel rend désormais possible le modèle du cumul travail et tâches domestiques pour les femmes. Ces avancées ne cachent cependant pas la persistance des inégalités de salaire (malgré la loi), de carrière et de reconnaissance. Par exemple, c’est seulement en 1980 qu’une femme intègre l’Académie française, Marguerite Yourcenar, soit 345 ans après sa création.

Au niveau sociétal et juridique, le procès de Bobigny de 1972 est un tournant dans le progrès des droits des femmes. Marie-Claire, jeune fille de 17 ans mise enceinte après un viol, est jugée pour avortement et est défendue magistralement par Gisèle Halimi, qui fait du procès une tribune politique et militante dans laquelle elle fait le procès de la loi. L’avocate finit par obtenir la relaxe de sa cliente. L’évènement est fondateur de la série de lois sociales qui suit, parmi lesquelles la loi Veil de 1974 qui dépénalise l’interruption volontaire de grossesse (remboursée intégralement à partir de 1982), la loi sur le divorce par consentement mutuel de 1975 ou encore l’introduction de la notion de harcèlement sexuel dans le Code du Travail en 1992.

Pendant très longtemps, l’Histoire a été une Histoire d’hommes faite par des hommes. Le retard de l’historiographie a commencé à se combler en 1973, avec la création d’un premier cours d’histoire des femmes intitulé « Les femmes ont-elles une histoire ? »,  à l’université Paris VII, sous la houlette de Michelle Perrot, Pauline Schmitt et Fabienne Bock. Si des inégalités persistent, il apparaît que certaines questions, comme celle posée par un colloque historique en 1984 « Une histoire des femmes est-elle possible ? », ne se posent désormais plus.

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Marc GERARD

Ancien élève de CPGE B/L au Lycée Montaigne, Marc Gérard est diplômé d'un master en Histoire des mondes modernes et contemporains, certifié et enseignant en Histoire-Géographie. Il est rédacteur pour Les Yeux du Monde depuis janvier 2016.

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