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Ukraine: une guerre locale en passe de devenir mondiale ? (1/7)

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L’entrée en force des chars russes sur le sol ukrainien, le 24 février 2022, a bouleversé la géopolitique mondiale. De nombreux États sont concernés par cet événement. De ce fait, l’idée qu’une troisième guerre mondiale, cette fois-ci nucléaire, serait, à court ou à moyen termes, susceptible d’éclater, tend de plus en plus à être véhiculée par les élites politiques occidentales.

Ukraine : une guerre locale de portée mondiale

« Une guerre entre Européens est une guerre civile. » Victor HUGO (1802-1885), Carnets, albums et journaux.

Depuis l'invasion de l'Ukraine le 24 février 2022, la guerre locale du Donbass apparaît comme la source d'une troisième guerre mondiale
Le 24 février 2022, l’invasion de l’Ukraine par les chars russes a bouleversé la géopolitique mondiale.

Depuis le 24 février 2022, date à laquelle a débuté la guerre en Ukraine, le monde semble être divisé en deux camps. L’Occident et ses alliés traditionnels se tenant au côté des Ukrainiens, face aux puissances émergentes appuyant la Russie. En effet, ces dernières affirment leur détermination à contrecarrer l’hégémonie des premiers. Jens Stoltenberg, actuel secrétaire général de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), a d’ailleurs fait part de sa crainte de voir la situation en Ukraine dégénérer en un affrontement direct entre l’OTAN  et la Russie.

Cependant, sur le plan économico-rationnel, l’esquisse d’une guerre directe, entre l’OTAN et la Russie, ne relève pas de l’analyse géopolitique sérieuse. Néanmoins, il reste nécessaire de s’intéresser aux enjeux géostratégiques profonds qui se jouent autour du conflit russo-ukrainien. Car l’issue de ce dernier aura, sans conteste, des conséquences de portée mondiale.

Guerre froide dans un monde unipolaire

Depuis l’époque des Grandes Découvertes, jusqu’en 1945, l’Europe occidentale était la civilisation dominante, à travers le monde. Celle-ci avait colonisé l’ensemble des cinq continents. La France et la Grande-Bretagne régnaient chacune sur un empire où jamais le soleil ne se couchait. Elles réussirent même, au XIXe siècle, à forcer l’Empire du Milieu à s’ouvrir au commerce international.

Concernant la période 1945-1989, l’historiographie officielle décrit cette dernière comme étant celle d’un monde bipolaire. A l’Ouest, il y avait le bloc capitaliste sous domination américaine, et à l’Est le bloc communiste sous domination russe, nous dit-elle.

Sur la base de ce substrat, la Guerre froide fût dépeinte comme une opposition idéologique entre système communiste et système capitaliste. Toutefois, l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) était simplement insuffisamment développée pour adhérer au principe d’économie de marché libre.  La planification économique mise en place par Staline visait précisément à rattraper, industriellement parlant, les nations occidentales. Le devenir du monde se jouait donc à l’Ouest, qui était le pôle dominant. A l’Est, le pôle dominé s’affirmant communiste n’était, en pratique, qu’un capitalisme étatisé de rattrapage. Il a fini, d’ailleurs, par s’effondrer de lui-même,  en 1991, épuisé qu’il était par les contradictions entre ses fondements économiques et ses fondements idéologiques. En somme, comme l’explique Ali Laïdi, le paradoxe qui caractérisait l’URSS était d’être une puissance politique, militaire et nucléaire, très faiblement compétitive sur le plan économico-commercial.

Cependant, dans un monde régi par la logique intrinsèque au mode de production capitaliste, ce dernier point est le plus déterminant de tous, dans l’affirmation de puissance. En effet, le nerf dans la guerre entre les différents capitalisme nationaux n’est, radicalement, déterminé par rien d’autre que l’âpre lutte pour l’accaparement des marchés.

Guerres chaudes durant la Guerre froide

Dans le monde post-1945, la nature des antagonismes n’avait pas changé. Cela, malgré une restructuration géopolitique phénoménale en deux blocs distincts. La France, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni, le Japon ainsi que les États-Unis d’Amérique,  furent les principaux belligérants durant la Seconde Guerre mondiale. Ils restèrent, par la suite, les uns pour les autres, de véritables adversaires, dans le cadre d’une guerre économique qui se jouait au sein même du monde de l’économie de marché libre.

La Menace Rouge fût, quant à elle, une aubaine pour les Américains. Elle leur permit de faire de l’Europe un vassal, dans le cadre de la lutte anticommuniste. Ce qui justifia la mise en place du Plan Marshall en 1947, et de l’OTAN en 1949. Car ce qui effrayait et effraie encore aujourd’hui les États-Unis, ce n’est pas la Russie. Cette dernière est économiquement beaucoup trop archaïque pour concurrencer la productivité américaine. C’est le renforcement politique et économique d’une Europe se rapprochant de la Russie qui constitue le cauchemar de Washington.  De ce fait, la stratégie américaine du containment visait donc, objectivement, à empêcher l’Europe de se tourner diplomatiquement vers la Russie. Scénario qui aurait permit l’avènement d’une Europe unie, et émancipée de la tutelle américaine, allant de l’Atlantique à l’Oural.

En somme, les Américains ont débarqué sur les plages de Normandie pour libérer la France. Depuis, ils ne sont plus jamais repartis du Vieux Continent. De Gaulle, lors des cérémonies commémorant cet événement, se manifestait par son absence. « Et vous voudriez que j’aille commémorer leur débarquement, alors qu’il était le prélude à une seconde occupation du pays ? Non, non, ne comptez pas sur moi ! Je veux bien que les choses se passent gracieusement, mais ma place n’est pas là  ! », disait il. Ses visées, en soi, n’avaient aucune originalité. Elles n’ont fait que perpétuer une vieille ambition européenne. Depuis le règne de Charlemagne, en passant par les rêves brisés de François Ier, Charles Quint, Napoléon, Hitler, De Gaulle, jusqu’à aujourd’hui, l’Europe n’a jamais réussi, malgré de maintes tentatives, à être une structure politiquement unifiée. Ce qui fit jadis, sans nécessairement qu’elle en prenne conscience, sa force, et certainement aujourd’hui, sa faiblesse.

Quant à la guerre en Ukraine, nous le verrons dans la suite de notre développement, elle ne fait que ramener à la surface un problème très ancien, sous un jour nouveau…

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Sources

  • Brzezinski, Zbigniew K., 1997, Le grand échiquier, Bayard
  • Cosandey, David, 2007, Le secret de l’Occident : vers une théorie générale du progrès scientifique, Flammarion
  • Laïdi, Ali, 2016, Histoire mondiale de la guerre économique, Perrin
  • Luxemburg, Rosa, 1967, L’accumulation du capital, Tome II, Ed. Maspero
  • Peyrefitte, Alain, 1997, C’était De Gaulle, Ed. de Fallois Fayard
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Yoann Lusikila

Yoann Lusikila est diplômé de science politique à l'Université de Lausanne. Il s'est spécialement intéressé aux enjeux de sécurité internationale, et de guerres économiques, à l'aune de la globalisation économique.

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