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Le règne du tsar Alexandre III (1881 – 1894)

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Alexandre III, à peine son père assassiné dans un attentat, met en place un Etat policier, revenant sur toutes les réformes modernisatrices passées. L'image n'est-elle pas trop terne?
Alexandre III, à peine son père assassiné dans un attentat, met en place un Etat policier, revenant sur toutes les réformes modernisatrices passées. L’image n’est-elle pas trop terne?

Après la mort de son père Alexandre II dans un attentat à la bombe en 1881, Alexandre III hérite du trône de l’Empire russe. Doit-il suivre la vague de réforme de son père ou arrêter le désastre causé par les attentats à répétition et opter pour un Etat policier ?

Sa première mesure illustre son choix : le projet de révision constitutionnelle  que son père était sur le point de signer est abandonné. A la place, il met en place un véritable Etat policier. Le Code criminel est plus répressif. Il rend la justice moins autonome et la bureaucratie plus importante. Il n’est plus possible de bénéficier d’un recours devant la justice. La répression sévit, la presse est muselée. La réforme de l’enseignement de son père est abolie : les écoles primaires sont placées sous le contrôle de l’Église (1884) et le Statut des Universités de 1884 remplace celui de 1863 en mettant fin à leur autonomie. Ainsi sont triplés les frais d’inscription pour écarter des études les nécessiteux. Enfin, en 1889, les zemstvos (assemblées locales) sont réformés, mieux contrôlées, notamment par la noblesse. Le règne du tsar Alexandre III s’ouvre sous les hospices du conservatisme.

Il en sera de même en politique étrangère : le tsar se considère comme le garant de la paix. La guerre a tellement coûté lors du règne précédent qu’il ne souhaite pas alourdir la dette du pays. De plus, le tsar sait que l’entente des trois empereurs (prusse, autrichien et russe) est très précaire en raison des tensions entre Vienne et Moscou dans les Balkans. Ces tensions deviennent paroxystiques en 1886-1887 quand en Bulgarie, alors que la région était demeurée une principauté vassale de l’Empire ottoman depuis le Congrès de Berlin, le prince en place, Alexandre de Battenberg (neveu de l’épouse de l’empereur Alexandre II), congédie des généraux russes conseillers du gouvernement bulgare sous la pression de nationalistes. En guise de réplique, Moscou organise un coup d’État pour le renverser. La communauté européenne s’empare du dossier sous la pression autrichienne et un nouveau prince est nommé : Ferdinand de Saxe-Cobourg (dont la famille est alliée à la fois à l’Allemagne et à l’Angleterre) qui tourne finalement le dos à la Russie et se tourne vers les Empires centraux. Le revers est de taille (le rêve de protection des slaves s’étiole) et le tsar a compris que sa réconciliation avec l’Autriche n’était pas envisageable. Dès lors, quels peuvent être les nouveaux alliés ? L’Angleterre ? Les tensions à la suite de l’annexion en 1884 de la région des turkmènes de Merv a entraîné la mise en place d’une délimitation de zones d’influence très précise : au Nord revient la Russie et au Sud l’Angleterre. De ce partage demeure, encore aujourd’hui, cette anomalie géographique du corridor de Wakham, appendice à l’Est de l’Afghanistan  qui fait office de zone tampon séparant la zone russe de l’époque (aujourd’hui le Tadjkistan) de la zone anglaise (aujourd’hui le Pakistan). S’allier avec l’Angleterre dans l’immédiat n’est plus envisageable : il ne reste que la France. Toutes ces tensions engendrent donc un revirement d’alliance spectaculaire : en 1891, un accord politique proclame l’entente franco-russe et en 1893 est signée l’alliance. Le pont Alexandre III à Paris symbolise cette amitié conclue entre Alexandre III et le président Carnot.

Toutefois, ce règne n’est pas aussi conservateur qu’on pourrait l’envisager de prime abord. D’un point de vue économique, il est tout simplement révolutionnaire et modernisateur. En début de règne, le ministre des Finances, Bunge, affirme qu’il faut renforcer en même temps l’agriculture et l’industrie. Il réduit ainsi les impôts des paysans, leur accorde des délais pour leurs annuités. Surtout, il aide les achats de terres, complétant ainsi la fin du servage proclamée en 1862 par son père, par le biais des Banques foncières paysannes qu’il crée. Il améliore la condition des ouvriers (journée de travail limitée pour les enfants, travail de nuit interdit pour les femmes). En même temps, il accentue le développement de l’industrie en mettant l’accent sur le pétrole, la métallurgie et les chemins de fers. En conséquence, les investissements étrangers explosent : ils sont multipliés par 9 entre 1880 et 1900, notamment grâce aux « emprunts russes » venus de Paris. L’économie reste fragile et sa bonne santé dépend de la qualité des récoltes : entre 1887 et 1889, les exportations de blé redressent la balance commerciale grâce aux bonnes récoltes mais en 1891, une mauvaise récolte engendre la grande famine de 1891-1892.

In fine, malgré un règne placé sous le signe du despotisme, le bilan du règne est bon : l’ordre a été maintenu malgré la misère paysanne, les révoltes se sont tues. L’économie a été grandement modernisée, la paix assurée. Toutefois, à sa mort en 1894, le tsar laisse derrière lui la misère sociale. L’autocratie aiguise les rancœurs de jeunes slaves en quête d’identité. Quelques attentats, commis sous le règne du tsar, sont, à ce titre, annonciateurs : Alexandre Oulianov, le frère du futur Lénine, est pendu en raison d’un attentat manqué.

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