Les mutations de l’OTAN : dérive, évolution ou crise institutionnelle ?
« La clause de solidarité de l’OTAN s’appelle l’article V, pas F-35»[1] ; « La mort cérébrale de l’OTAN »[2]. Nombreuses ont été les qualifications négatives de l’OTAN ces dernières années, mais cela marque-t-il pour autant une réelle contestation interne de celle-ci pouvant mener à son abolition ; autrement dit, la mutation existentielle de l’OTAN a-t-elle entrainé une dérive de son objectif initial menant à une crise institutionnelle ?
Une transformation contextuelle géopolitique mondiale face à une absence de mutation fonctionnelle de l’OTAN
Selon la théorie réaliste des relations internationales, la création d’une alliance militaire par une coalition d’Etats possède comme base légitime et conditionnelle d’existence principale la détermination d’un ennemi commun en vue de garantir leur propre sécurité sous une garantie d’équilibre des puissances. Mais depuis la chute du bloc soviétique quels objectifs se sont présentés jusqu’à aujourd’hui à l’OTAN ? Est-elle une alliance «obsolète » ou la source d’une « paix internationale » ? [3]
Cette transformation contextuelle ne s’est accompagnée d’aucune refonte fonctionnelle et institutionnelle de l’OTAN. Ayant pour conséquence une remise en cause profonde interne par l’Etat leader lui même[4], celle-ci a notamment engendré un grave dissensus interne sur l’avenir de l’OTAN pouvant conduire à un possible retrait américain[5]
Dérive ou évolution naturelle ?
Alors que l’alliance avait vocation à une défense mutuelle basée sur l’article V, le traité fondateur dispose néanmoins dans son article III que les parties adhérentes se doivent de maintenir une capacité individuelle et collective à une résistance armée. Cela aurait conduit notamment à transformer l’OTAN comme un simple partenariat de commerce d’armement[6] par le maintien d’un budget minimum des dépenses militaires des Etats alliés qui engendre une disparité dans le financement[7] de la défense, et donc, une remise en cause de la volonté de maintenir l’alliance sans réel objectif défensif. Celle-ci deviendrait alors un pôle vecteur de traités d’armements avec des pays tiers[8], qui entraîne une certaine méfiance de la part de pays exclus de ces partenariats[9] par le biais des « alliés majeurs non-membre ». Evoluant spatialement, cela dérive néanmoins de son objectif originel : la protection d’une menace extérieure.
En effet, la menace extérieure soviétique était conventionnelle et bien identifiée. Aujourd’hui, elle ne l’est plus : décentralisée, sans frontière ni population, ayant un champ d’action planétaire ; bien que le terrorisme ait un nom et une institution, l’OTAN n’apparaît pas fonctionnellement capable de pouvoir s’y confronter.
Les moyens d’actions ou de réactions sont différends d’un ennemi à l’autre, et le terrorisme en l’occurrence en fait partie. Bien que l’invasion de l’Afghanistan par les Etats Unis ait été légitimé sous la base de l’article V du traité fondateur, et que dès 2008 la question de la mise en œuvre de stratégie antiterroriste faisait apparition, ce n’est que véritablement le 12 juin 2020, que l’OTAN lance une formation stratégique et opérationnelle anti-terroriste[10].
Crise institutionnelle passagère ou réelle remise en cause ?
Il existe une distorsion interne pouvant mener à un conflit militaire entre deux membres intégrés du fait notamment des tensions gréco-turques, qui été matérialisé par un incident en méditerranée[11] le 17 juin entre la France et la Turquie, et se double notamment d’un dissensus en Libye par le soutien militaire de la Turquie au gouvernement libyen outrepassant l’embargo installé[12] qui fait l’objet d’une enquête par l’OTAN contre la Turquie, et entraîne par extension l’inflation de l’instabilité dans la région[13].
Ensuite, la résurgence de la volonté de l’autonomisation militaire de l’Union basée sur une Europe de la défense[14] refait surface. Contestation du seuil minimum budgétaire et des opérations menées par les américains, cela permettrait notamment une union en matière de défense résolvant l’incapacité de l’Union à faire face notamment aux tensions liant la Turquie, la chancelière allemande avait notamment appelé le 13 novembre 2018 à une véritable armée européenne complémentaire de l’OTAN.
Mais l’institution n’est cependant pas en « mort cérébrale », elle apparait même bien vivante : un groupe d’experts indépendants a été mis en place afin de régler les défauts actuels de l’alliance et prévenir les attentes futures[15] de 2030 ; Attentes qui se révèlent être impératives notamment lorsque l’on sait que deux figures concurrentes surgissent : la Russie tout d’abord[16] par une modernisation massive de son équipement et son influence toujours plus accrue au Moyen Orient ainsi qu’en méditerranée[17] ; Et la Chine, qui menacerait directement un allié majeur non membre de l’OTAN[18] :Taiwan. Elle pourrait devenir un réel point chaud pour la lutte maritime territoriale : les opérations préventives d’achats d’équipements et formations militaires[19] impactent de manière importante l’appréhension pour la Chine de l’apparition d’un « OTAN asiatique »[20].
Le sommet de l’OTAN, et les réunions des ministre des affaires étrangères sont une occasion essentielle à la cohésion et la cohérence des manœuvres stratégiques en vue de l’effectivité des buts assignés permettant une constante rénovation des objectifs destinés à la poursuite des missions de l’OTAN.
Biden arrivé au pouvoir, voulant mener une politique internationale presque antinomique du repli sur soi de Trump et ses actions unilatérales, quel avenir pour l’OTAN dans les prochaines années ?
[1] https://www.lepoint.fr/monde/otan-paris-demande-des-garanties-a-washington-18-03-2019-2302147_24.php
[2] https://www.lemonde.fr/international/article/2019/11/28/mort-cerebrale-de-l-otan-macron-assume-stoltenberg-recherche-l-unite_6020929_3210.html
[3] https://www.france24.com/fr/20170413-etats-unis-donald-trump-otan-obsolete-rempart-paix-internationale-stoltenberg-ei
[4] https://www.leparisien.fr/international/trump-et-l-otan-entre-obsession-budgetaire-mefiance-et-grand-flou-strategique-11-07-2018-7816389.php
[5] https://www.iris-france.org/143768-et-si-donald-trump-decidait-de-quitter-lotan-en-2020%E2%80%89/
[6] https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/f-35-en-belgique-chronique-d-une-trahison-annoncee-de-l-europe-de-la-defense-794858.html
[7] https://www.lemonde.fr/international/article/2019/04/04/le-colossal-effort-budgetaire-de-l-otan-pour-la-defense_5445489_3210.html
[8] https://www.rfi.fr/fr/afrique/20150712-tunisie-devient-allie-majeur-non-membre-otan-etats-unis
[9] https://thediplomat.com/2019/08/no-india-isnt-a-major-non-nato-ally-of-the-united-states/
[10] https://www.nato.int/cps/fr/natohq/news_176304.htm?selectedLocale=fr
[11]https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/17/paris-denonce-une-man-uvre-turque-recente-extremement-agressive-en-mediterranee_6043175_3210.html
[12] https://www.france24.com/fr/20200619-libye-embargo-armes-turquie-critique-mission-europeennne-irini
[13] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/09/03/les-violations-de-l-embargo-sur-les-armes-s-amplifient-en-libye-selon-l-onu_6050810_3212.html
[14] https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2020-3-page-209.html
[15] https://www.lopinion.fr/edition/international/otan-mort-cerebral-repense-a-avenir-230608
[16] https://www.lefigaro.fr/international/alliance-atlantique-illusions-et-realites-de-la-menace-russe-20201201
[17] https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2019-7-page-112.htm
[18] https://www.capital.fr/economie-politique/la-chine-menace-taiwan-dune-invasion-militaire-1381359
[19] https://asiepacifique.fr/taiwan-us-marines-formation-forces-taiwanaises/
[20] https://thediplomat.com/2020/11/a-new-phase-for-the-free-and-open-indo-pacific/