Les mutations du secteur pétrolier
L’ère du pétrole aura une fin, mais elle reste encore lointaine. Le caractère non-renouvelable de l’hydrocarbure et la sensibilisation progressive des sociétés à l’enjeu environnemental ne doivent pas faire oublier qu’à court et moyen terme, le pétrole restera un des carburants majeurs de l’économie mondiale.
Un rapide constat sur les réserves restantes des pays déjà producteurs permet de s’en rendre compte. En la matière, la clinquante économie post-pétrolière dubaïote fait figure d’arbre cachant la forêt puisque les voisins koweïtiens ou saoudiens possèdent encore près d’un siècle de production au rythme actuel d’extraction. D’autre part, la perspective d’un accord durable à propos du nucléaire avec l’Iran ouvre les portes à un possible retour du pétrole iranien – qui n’avait cependant jamais complètement disparu des circuits commerciaux. Si le pays souffre d’un manque certain d’infrastructures depuis 1988 et la fin de la guerre avec l’Irak, accentué par les sanctions internationales et le manque d’investissements étrangers, les près de 10% de réserves mondiales que comptent la république islamique devraient rapidement attirer des capitaux.
L’autre grande révolution concerne bien sûr l’exploitation des hydrocarbures schisteux, permise par le perfectionnement de la technique d’extraction par fracturation hydraulique. Principal fer de lance de cette technologie, les États-Unis ont ainsi produit cette année près de 8 millions de barils de brut par jour, représentant 40% de leur consommation. Parallèlement, la recherche de nouveaux gisements se poursuit et des pays comme le Brésil ne se priveront pas d’abondamment développer leur secteur pétrolier afin d’en faire un nouveau levier de croissance (l’économie pétrolière a d’ailleurs déjà grandement contribué à éviter au pays une balance commerciale négative en 2013).
Certes, les ingénieurs et géologues n’ont pas encore suffisamment de recul concernant les retombées environnementales de la fracturation hydraulique. Certes, les nouveaux gisements découverts dans le monde sont de plus en plus profonds et éloignés des côtes, soulevant des problèmes logistiques et financiers. Certes la communauté internationale déploie des efforts de plus en plus concertés pour développer la production d’énergies renouvelables et limiter le recours aux ressources non-renouvelables. Il n’en demeure pas moins que le pétrole – technologies, compétition mondiale et mentalités obligent – constitue encore un horizon indépassable.
Plus qu’à un dépassement, c’est en fait à une mutation de l’économie pétrolière que l’on assiste progressivement. En témoigne un récent rapport de l’ONU (fin 2013) annonçant le retour du charbon en tant que première source d’énergie mondiale d’ici à 2020. Cette évolution est notamment le fait de la Chine qui importe toujours plus de charbon pour alimenter ses centrales électriques, la croissance du pays s’accommodant mal du temps long requis pour la construction d’infrastructures nucléaires. Bon marché, le charbon profite aussi de la cherté maintenant structurelle du pétrole avec des prix constamment supérieurs à 100$/baril, et à propos duquel les observateurs doutent que l’afflux de pétrole schisteux entraîne une baisse de coût, tant les pays de l’OPEP ont besoin d’un baril cher pour boucler leur budget. De fait, l’utilisation du pétrole se cantonne de plus en plus au domaine, certes très vaste, des transports.
Tiraillé entre limites géologiques, enjeux technologiques et situations géopolitiques, le secteur pétrolier sera ainsi bientôt amené à connaître un bouleversement parmi les plus importants depuis la vague de nationalisation des années 70 au sein du monde arabe. Au paradigme déclinant d’un pétrole abondant et irriguant l’ensemble de l’économie mondiale devra certainement se substituer un nouveau modèle plus adapté à la logique de mix énergétique, préparant, lui, la progressive marginalisation et disparition du précieux or noir.