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La cybercriminalité: un phénomène qui bouscule la géopolitique des espaces maritimes mondiaux

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La géopolitique des espaces maritimes constitue un miroir des relations internationales. La mer est un espace de luttes, de velléités étatiques, de ressources considérables. Elle est par conséquent un terrain d’expression des puissances mondiales. Mais pas seulement. De nombreux Etats font aujourd’hui face à de nouveaux types de dangers. En parallèle de menaces traditionnelles (conflits entre Etats), de nouveaux défis sécuritaires se développent dans les espaces maritimes mondiaux, et parmi eux, la menace d’une cyberattaque.

L’émergence d’une menace asymétrique dans le sillon des flux maritimes mondiaux

La densité des flux maritimes mondiaux s’est nettement accélérée depuis les années 1950.

Dans un discours prononcé en 2012 à Brest, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian s’exprimait en ces mots à propos du « 6ème continent » : « Le XXIème siècle sera celui de la maritimité au niveau mondial (…). Il nous faut donc protéger cet espace et assurer la liberté des mers pour être au rendez-vous du XXIème siècle ». Dans un monde désormais globalisé, pas moins de 90% des échanges – en volume – se font par voies maritimes. Cette mondialisation, caractérisée par l’intensification des flux internationaux (humains, transports, réseaux…) s’exprime en mer par une augmentation vertigineuse des transports de marchandises. Pourtant, dans les remous incessants provoqués par l’intensification de ces échanges, des risques et des tensions sont apparus à l’échelle internationale, dont la menace d’une cyberattaque.

A la suite des bombardements de l’OTAN en 1999 dans le cadre de la guerre au Kosovo, des hackers serbes sont parvenus à faire saturer les systèmes informatiques de l’Alliance atlantique. Pendant plusieurs jours, certains serveurs au siège de l’organisation à Bruxelles restèrent fermés. Mais la véritable prise de conscience de ce nouveau genre de menace se fit en 2007, lorsque des cyberattaques paralysèrent les serveurs de l’administration publique estonienne, pour avoir fait déplacer un monument à la gloire des soldats soviétiques. Déja, en 2011, James Shea, alors directeur de la planification politique de l’Alliance atlantique, estimait que l’OTAN subissait pas moins de 100 cyberattaques par jour.

D’une manière globale la menace d’une cyberattaque est définie comme une opération menée dans le milieu virtuel[1] (appelé le cyberespace, c’est-à-dire les systèmes d’informations et de communications) qui a pour but de provoquer des dégâts virtuels (anéantissement d’un système informatique ou de communication) ou des dégâts physiques et concrets (la destruction d’un système pouvant entraîner le dysfonctionnement d’un site, ou la vulnérabilité plus grande d’un lieu sécurisé…). L’essor de cette menace dite asymétrique se développe désormais au sein des espaces maritimes mondiaux.

Mer et cyber : deux espaces interdépendants pour un même enjeu sécuritaire

Pour le Vice-Amiral Arnaud Coustilliere, l’espace maritime est interconnecté à l’espace du cyber. Il existe dans ces deux sphères des frontières peu tangibles. Il est en effet aussi difficile d’imposer une souveraineté étatique dans le domaine du cyber que dans le domaine maritime dans lequel la liberté de navigation est un principe fondamental. Par ailleurs, plus de 95% des télécommunications passent par la mer, via des câbles sous-marins installés de part et d’autre dans le monde. De plus, le monde maritime connait une intense numérisation de toutes les infrastructures portuaires ainsi que des bâtiments en haute mer. La fragilité de ces systèmes face à la cybercriminalité est donc un risque réel dont il faut tenir compte.

A l’heure actuelle, les systèmes d’information utilisés dans le secteur maritime, c’est à dire par les bâtiments de surface, les sous-marins ainsi que les infrastructures portuaires doivent faire face à de potentielles cyberattaques. L’automatisation et l’évolution technologique de nombreux matériels offrent un nouvel espace de risques dont il faut se prémunir[2]. Certains dispositifs automatisés ne sont pas tous conçus pour évoluer dans un environnement ouvert, tel que la mer qui est un espace, sinon le plus grand, extrêmement vaste. Par ailleurs, l’interconnexion des systèmes de réseaux entre eux entraîne une plus grande vulnérabilité des systèmes dans leur intégralité. Enfin, la multiplicité et la multiplication des acteurs privés et publics dans le domaine des infrastructures portuaires rend difficile un contrôle total de ce milieu et de l’évolution des technologies utilisées. Au-delà de cet ensemble de vulnérabilités, il est encore difficile de faire intégrer dans l’imaginaire collectif la cybercriminalité comme un risque de premier ordre, quand bien même il pourrait le devenir très rapidement.

La cybersécurité constitue un terrain d’avenir dans lequel il est tout à fait possible de mêler experts académiques, scientifiques et industriels pour faire face aux enjeux que soulève l’essor de la menace cyber, notamment dans les espaces maritimes mondiaux. En 2014, des industriels français (Thalès, DCNS) se sont associés avec des structures étatiques (Ecole Navale, Direction Générale de l’Armement – DGA) pour créer une chaire de cyberdéfense des systèmes navals, qui a pour ambition première de stimuler l’innovation dans la protection des systèmes technologiques dans le domaine maritime.

En parallèle de cette menace asymétrique, le terrorisme maritime, la piraterie maritime, le phénomène des Etats faillis, mais aussi l’essor de nouvelles puissances maritimes mondiales (Chine, Russie, Brésil) sont autant d’éléments qui incitent les Etats à revisiter leurs stratégies maritimes, à l’instar de la France qui a lancé en octobre 2015 une « Stratégie nationale de sûreté des espaces maritimes », premier jalon d’une prise de conscience globale de la fragilité de nos espaces maritimes mondiaux.

[1] BAUD Michel, « La cyberguerre n’aura pas lieu, mais il faut s’y préparer », Politique étrangère 2012/2 (Eté), p. 307

[2] Vice-Amiral Arnaud Coustillière, « Le combat numérique au coeur des opérations : quels enjeux pour le monde maritime ? », RDN, avril 2016, pp. 45-48.

 

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