Norilsk : comment survit une ville sibérienne inaccessible par la route ?
Neuf mois d’hiver, près de 150 jours de blizzard, ville la plus septentrionale du monde, les caractéristiques de Norilsk interrogent sur l’attractivité d’une ville de plus de 100 000 habitants soumise à un climat redoutable.
Norilsk : de la ville-goulag à la ville expérimentale
La mise en valeur de Norilsk ne débute qu’en 1919 par l’intermédiaire de travaux menés par des géologues afin d’exploiter des gisements de cuivre, de nickel et de platine, et ce, dans le cadre des premiers plans quinquennaux de l’URSS. En juin 1935, Staline promeut un décret qui fait officiellement de cette ville-usine et ses alentours un vaste goulag, composé de trente camps de travail. On estime que 400 000 « zeks » (i.e. les prisonniers du goulag) sont passés par ces camps, dont une majorité de prisonniers politiques.
Le goulag est fermé le 22 août 1956, tandis que Norilsk obtient le statut de ville en 1953. Progressivement, ce sont des volontaires qui affluent vers la cité sibérienne, attiré par des salaires très supérieurs à ceux distribués dans le reste du pays, mais aussi par de nombreux privilèges comme des voyages vers sa ville d’origine financés par l’Etat ou un accès à la retraite avancé après une vingtaine d’années de travail dans ces régions reculées.
Norilsk apparaît, à bien des égards, comme une ville expérimentale. En effet, elle est complètement isolée du monde, n’étant relié que par le biais de son port ou, plus tard, par des liaisons aériennes. Norilsk fonctionne depuis des décennies en quasi autonomie, et il était nécessaire, jusque dans les années 1980, de passer un concours sélectif pour venir travailler à Norilsk, preuve d’une attractivité certaine. En outre, en 2001, la municipalité de Norilsk, soutenue à 89% par la population, est redevenue une ville fermée. Les étrangers ne peuvent pas s’y rendre sans être munis d’une autorisation au préalable. Si des raisons sanitaires ont été évoquées, certains estiment que cette mesure résulte de la volonté de revenir à la situation de ville secrète et tenue à l’écart du reste du monde comme Norilsk l’était dans le passé.
Spécialisation de l’activité
Les premières exploitations massives de nickel à Norilsk datent de 1939, par l’entreprise Norilsk Nickel, devenu consortium d’Etat en 1989. En 2007, Norilsk Nickel a produit la quasi-totalité de la production russe de nickel (300 000 tonnes), 55% de la production russe de cuivre (405 000 tonnes) mais aussi 93 tonnes de palladium. En 2001, la société a pris le nom de Compagnie minière et métallurgique Norilsk Nickel. Afin de favoriser les échanges commerciaux et notamment les exportations de minerais vers l’Europe, la société a fait l’acquisition des ports de Doudinka et d’Arkhangelsk. En 2007, Norilsk Nickel a acquis 90 % de la société canadienne LionOre, un des leaders de la production mondiale de nickel, réalisant ainsi l’acquisition russe à l’étranger la plus importante à ce jour (6,4 milliards de dollars).
Désaffection de la ville
Depuis plusieurs années déjà, la ville de Norilsk est devenue repoussante. Le réchauffement climatique fragilise les sols et entraîne l’effondrement de certains bâtiments de la ville, construits pour la plupart sous Khrouchtchev. Par ailleurs, l’omniprésence des usines de Norilsk Nickel a fait de la ville une des villes les plus polluées au monde, où les seuils de pollution sont dépassés deux jours sur trois. En conséquence, la toundra des alentours de Norilsk a été brûlée par les pluies acides et autres émanations toxiques. L’année dernière, la société Norilsk Nickel a même reconnu qu’elle était responsable de la couleur rouge prise par la rivière Doldykane, tout en niant des conséquences dangereuses pour l’environnement.
Relancer l’attractivité ?
Les autorités municipales ont lancé un plan de « Stratégie de développement socio-économique de Norilsk jusqu’en 2020 » qui sanctuarise le centre de la ville en tant que patrimoine historique et relance la construction de logements neufs. Par ailleurs, les services publics est une priorité à Norilsk puisque les services de santé et de transport y sont nombreux et de haute qualité. Entre 2012 et 2013, la photographe Elena Chernyshova a réalisé un travail documentaire sur cette région russe inaccessible et a remis sur le devant de la scène une ville de plus en plus délaissée.
Cependant, ces minces entreprises d’ouverture sont à nuancer. En effet, le plan « Stratégie de développement socio-économique de Norilsk jusqu’en 2020 » est un plan élaboré par les cadres de Norilsk Nickel, avec pour principal objectif l’essor de l’entreprise pour laquelle ils travaillent.
L’imbrication entre la ville et la société métallurgique est telle que l’existence, à terme, de la ville de Norilsk est menacée. La voie de l’hyperspécialisation et de l’activité unique a fait de Norilsk une ville atypique et fermée, alors que d’autres villes sibériennes comme Mourmansk, au contraire, ont pris le chemin de l’ouverture.