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Les trois risques du « Green New Deal » européen

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En décembre dernier, Ursula Von der Leyen annonçait la mise en œuvre du « Green New Deal » européen. Ce plan est censé assurer à l’Union Européenne une neutralité carbone d’ici à 2050. Pour la Commission, il s’agit de répondre à la montée en puissance des partis verts partout en Europe. L’objectif est également de faire de l’Union un acteur central dans les négociations climatiques et ainsi de renforcer sa légitimité sur la scène internationale. Pourtant, si la volonté politique ne manque pas, la transition énergétique européenne comporte de nombreux risques tant sur le plan économique que géostratégique. 

La vulnérabilité de l’Europe face aux métaux critiques

L’Europe devra maitriser les chaînes de valeur de la transition énergétique si elle ne veut pas renoncer à son indépendance.
Si l’Europe veut réussir son « Green New Deal », elle devra maîtriser les chaînes de valeur de la transition énergétique.

L’un des risques importants auquel sera confronté l’Europe sera lié à la maîtrise des approvisionnements en métaux critiques. Ces derniers sont en effet essentiels à tout déploiement massif des énergies renouvelables (ENR) comme le photovoltaïque ou l’éolien. Il faut ainsi des métaux rares comme le néodyme et le samarium pour fabriquer les turbines éoliennes. La Commission Européenne estime à 27 le nombre de ces matériaux critiques, ce qui pose de nombreuses difficultés.

D’une part, géologiquement, la faible quantité de certains métaux risque de ne pas suffire pour répondre à la hausse de la demande. Ce manque de ressources, en plus d’entraîner un problème industriel considérable, devrait également engendrer un certain nombre de tensions géopolitiques. Par exemple, 60% du cobalt mondial est produit en République démocratique du Congo (RDC). D’autre part, des métaux critiques comme le lithium ou le cuivre sont très gourmands en eau pour l’extraction. Ceci va poser des problèmes substantiels en matière de concurrence d’usage des ressources hydriques aggravant davantage les risques sociaux et politiques.

Afin de maîtriser les risques liés à ces métaux critiques, l’Union européenne (UE) devra donc faire preuve d’ambitions géostratégiques à la hauteur des enjeux. Pourtant, force est de constater qu’aujourd’hui l’Europe est à la traîne. Au niveau minier, ce sont ainsi des groupes chinois qui dominent le marché grâce à une politique agressive de rachats d’actifs. L’acquisition par un consortium chinois d’une mine géante de bauxite en Guinée symbolise cette suprématie. Globalement, l’Empire du milieu domine les segments de l’extraction et du raffinage des métaux critiques renforçant la vulnérabilité européenne dans ce domaine.

L’Europe en retard sur les technologies bas-carbones

Ne maîtrisant pas ses approvisionnements en métaux critiques, l’Europe est également confrontée à un retard inquiétant au niveau des technologies bas-carbones. Sur le photovoltaïque, par exemple, 90 % des cellules sont produites en Chine. Neuf des dix plus grands fabricants mondiaux sont également chinois. De même, sur l’éolien, six entreprises chinoises concentrent à elles seules plus de 50 % de la production mondiale. Enfin, sur les secteurs stratégiques des batteries et des véhicules électriques, l’Europe n’est pas capable de concurrencer la mainmise asiatique.

L’avance chinoise s’explique avant tout par une politique industrielle volontariste du gouvernement. Souhaitant transformer son économie, ce dernier a en effet utilisé les technologies bas-carbones comme levier d’une montée en gamme de son industrie. Ainsi, appuyées par des subventions publiques massives et un marché protégé, les entreprises chinoises ont pu rapidement devenir compétitives. À l’inverse, le droit de la concurrence  n’a pas permis aux acteurs européens d’atteindre une taille critique suffisante pour résister à la concurrence chinoise. En conséquence, hormis pour l’éolien offshore, l’Europe importe massivement des technologies bas-carbones. Les récentes annonces en faveur d’une « alliance européenne de la batterie » arrivent dès lors bien trop tard pour une Europe qui n’a pas su protéger ses atouts technologiques.

Le « Green New deal »: une menace pour l’indépendance énergétique de l’Europe

La réussite du « Green New Deal » dépendra aussi largement des capacités des utilities européennes (entreprises du marché de l’électricité) à répondre aux défis de la transition énergétique. Or, la libéralisation du marché de l’électricité et les effets pervers de la tarification ont conduit à mettre en difficulté de nombreux opérateurs. À cela se sont ajoutées les politiques d’austérité qui ont ruiné les utilities du Sud de l’Europe. En conséquence, ces opérateurs ont fait figure de proie facile aussi bien pour les investisseurs américains que chinois.

Fortement dépendants de l’électricité pour leurs data centers, les GAFAM se sont effet imposés comme des acteurs clés du marché électrique européen. Une partie de la production renouvelable d’Europe du Nord a été ainsi directement privatisée par les géants du numérique. Facebook a investi par exemple près d’un milliard de dollars dans des fermes renouvelables en Suède. Plus globalement, avec leur force de frappe financière et leur appétit énergétique croissant, les GAFAM risquent d’absorber les opérateurs européens.

Pire encore, ces derniers voient arriver la concurrence redoutable des opérateurs chinois. En 2012, le chinois State Grid Corporation avait ainsi racheté 25% des parts du gestionnaire de réseau portugais REN. Ce type d’action devrait d’ailleurs se multiplier du fait de l’interconnexion croissante des réseaux électriques entre l’Europe et l’Asie. Comment, dans ce contexte, les utilities européennes pourraient-elles résister au projet chinois des « routes de la soie électriques » ? De fait, l’Europe risque de voir son parc électrique de plus en plus contrôlé par des opérateurs non-européens menaçant sérieusement l’indépendance énergétique du continent.

Avant d’être un outil contre le réchauffement climatique, le « Green New Deal » doit donc être replacé sous sa dimension géostratégique. En cela, ce projet ne peut réussir que si l’Europe arrive à conserver la pleine maîtrise de ses approvisionnements énergétiques. Malheureusement, pour l’heure, ce défi est très loin d’être gagné…

Sources

Marc-Antoine Eyl-Mazzega et Carole Mathieu, « La dimension stratégique de la transition énergétique. Défis et réponses pour la France, l’Allemagne et l’Union européenne », Etudes de l’IFRI, avril 2019.

Catherine Locatelli etal, « Les investissements chinois, russes et américains dans le secteur énergétique européen. », Observatoire de la sécurité des flux et des matières énergétiques.Iris, décembre 2019.

Zhenya Liu, Global Energy Interconnection, Hardcover, 2015.

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Quentin PARES

Quentin Pares est diplômé d’un Master 2 de Grenoble Ecole de Management (GEM) et est étudiant à l’IRIS. Il est spécialisé dans les questions énergétiques et d'économie internationale.

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