L’internationalisation de l’enseignement supérieur – Salima Laabi Zuber
L’écosystème de l’enseignement supérieur dans l’ensemble des pays de l’OCDE mais aussi dans les pays émergents s’est transformé au gré des phénomènes engendrés par la mondialisation, engagée depuis les années 90. Le secteur de l’enseignement supérieur a évolué vers une logique marchande sous l’effet des flux internationaux d’idées, de la mobilité transnationale des étudiants, des enseignants, des programmes, des établissements et des financements. L’élément majeur qui a contribué au développement de ces flux d’échanges fut l’évolution des progrès des technologies de l’information et des communications et de la concurrence économique internationale grandissante.
Désignée par les économistes de l’OCDE, de l’OMC et de la Banque mondiale comme étant « l’économie de la connaissance », le secteur de l’enseignement supérieur se caractérise désormais par la commercialisation à l’échelon mondial des produits de la recherche et de l’enseignement. En effet, l’enseignement supérieur a muté en un marché concurrentiel lançant des défis de performance et de qualité mais aussi d’attractivité à l’ensemble de ses acteurs, qu’ils soient étatiques, prestataires privés, étudiants, enseignants ou fonds d’investissement. Il suit, en l’occurrence, l’extension sur le plan mondial des enjeux de production et de consommation au sens large du terme.
La multiplication des échanges économiques et l’augmentation de la mobilité des personnes s’accompagnent également d’une demande de plus en plus grande en termes de mobilité de la part des étudiants, mais aussi des enseignants. Cette demande à l’échelle mondiale engage les différents acteurs de l’enseignement supérieur à agir dans un environnement économique en pleine croissance qui nécessite des stratégies de développement pour un positionnement compétitif dans le secteur. En effet, selon les données de l’OCDE, le nombre d’étudiants étrangers a triplé entre 1985 et 2008 et continue à progresser. Le nombre des étudiants internationaux pourrait passer de 4,1 millions en 2010 à 7,5 millions en 20251. Actuellement, près de 200 millions de personnes sont inscrites dans les systèmes d’enseignement supérieur mondiaux, soit un doublement des effectifs depuis une dizaine d’années.2.
Dans cet essai, l’objet du zoom sur le marché mondial de l’enseignement supérieur est celui de s’interroger sur l’identification des acteurs majeurs du secteur et sur les tendances actuelles qui transforment son écosystème dans des zones géographiques en pleine mutation, telles que l’Asie notamment la Chine et les économies émergentes du continent africain.
Le cas significatif chinois soulève les questions d’adaptation d’un grand pays émergent à l’internationalisation de l’enseignement supérieur, à son marché, aux grandes transformations mondiales et géopolitiques. Cependant, l’Afrique, continent qui enregistre une croissance économique constante autour de 5% depuis 2009, est particulièrement concernée par les capacités à gérer la formation supérieure de son capital humain, afin de construire son propre développement technologique et de s’approprier l’exploitation de ses matières premières.
L’intérêt, ici, est notamment centré sur les dimensions démographiques, économiques et linguistiques qui influent localement sur l’évolution du secteur de l’enseignement supérieur et de son internationalisation. Ces échanges sont tributaires de l’évolution des flux d’exportation et d’importation de produits de la connaissance et des qualifications humaines en termes de compétences.
Eléments de compréhension de l’internationalisation de l’enseignement supérieur à l’ère de la mondialisation
Nous ne pouvons pas faire l’impasse dans cet essai sur la différence de définition de l’internationalisation et de la mondialisation qui soulève de subtiles nuances et détermine l’évolution en cours de l’internationalisation de l’enseignement supérieur vers sa mondialisation. L’auteur japonais Futao Huang, dans son article consacré à l’internationalisation de l’enseignement supérieur à l’ère de la mondialisation3, propose une différenciation entre les deux termes.
La mondialisation vise principalement, selon lui, « à imposer un modèle unique universellement reconnu, transnational et transculturel » alors que « l’internationalisation est affaire d’échanges ou de communication entre différents pays et cultures ». Il positionne donc la mondialisation dans une dimension économique des échanges qui tend à se globaliser et imposer des normes internationales communes tandis que l’internationalisation requiert dans sa définition une dimension institutionnelle émanant de l’intervention étatique en faveur du développement des échanges de modèles culturels. Il fait donc une distinction entre ces deux termes, qui apporte un éclairage certain sur deux mouvements mondiaux distincts. Ces mouvements engagent d’une part, les Etats, et d’autre part, les acteurs extra étatiques, dans une course où les enjeux sont, pour les uns, géopolitiques, d’influence et socioéconomiques intégrant la problématique de croissance et d’innovation et, pour les autres, purement économiques conduits par la loi de l’offre et de la demande établissant une tendance vers une uniformisation des normes, valeurs scientifiques, technologiques et culturelles.
Ces deux mouvements distincts et qui peuvent paraître contradictoires dépendent de la cohérence de l’action des acteurs et de la stratégie étatique mais surtout du degré d’intégration économique du secteur de l’enseignement supérieur dans les échanges mondiaux.
Les pays du Sud, qui se sont engagés plus tardivement dans ces mouvements de mondialisation économique et d’internationalisation culturelle de l’enseignement supérieur, ont accumulé un retard certain en comparaison avec les pays du Nord, dont les formations présentent une qualité éprouvée. La massification de la demande est néanmoins largement localisée dans les pays émergents tels que la Chine et l’Inde, au sein des BRICS (Brésil, Russie, Inde et Chine) due à une démographie importante et à un investissement étatique en faveur d’un système d’enseignement secondaire désormais obligatoire dans la plupart de ces pays. Par ailleurs, le développement des classes moyennes des pays du Sud, conséquence des politiques publiques en quête de rattrapage économique, participe au-delà des effets de la mutation démographique à alimenter la demande d’éducation supérieure.
L’interdépendance du secteur économique et la course à la croissance qui implique le développement industriel et technologique ainsi que l’accès des Etats émergents à une main d’œuvre qualifiée pour soutenir la productivité contribuent à l’essor de la demande internationale en termes d’enseignement supérieure et de formation professionnelle, et ce, majoritairement en langue anglaise.
Cependant l’internationalisation de l’enseignement supérieur ne se limite plus à la seule mobilité des étudiants, en conséquence d’une demande croissante vers les meilleures formations. Le phénomène concerne également l’exportation des formations, des établissements, du contenu comme des outils pédagogiques et des collaborations scientifiques internationales qui sont valorisées. Il s’agit néanmoins d’un marché très asymétrique, marqué par l’hégémonie de quelques grands prestataires localisés dans des pays anglo-saxons très investis, tels que les États-Unis, l’Australie ou le Royaume-Uni.
Leur intervention dans le secteur s’est longtemps caractérisée par une action d’assistance et de partenariat avec les pays du Sud marquée particulièrement par la mobilité individuelle, la transplantation de modèles ou de systèmes d’enseignement supérieur nationaux dans certains pays ou certaines régions. Cet état de fait s’est progressivement transformé vers une concurrence mondiale où l’intervention grandissante du secteur privé participe de plus en plus au mouvement d’internationalisation d’enseignement supérieur. De nouveaux acteurs, tels que les universités privées, la mobilisation des ménages dans le financement des études, mais encore les entreprises, les banques, les mécénats, les fondations et plus récemment les fonds d’investissement, participent à façonner ce marché et à y introduire de nouvelles règles et une dimension financière majeure. On assiste par conséquent à une tendance vers une mondialisation ou une standardisation des programmes, des diplômes, des certificats, de l’enseignement transnational et une croissance de l’assurance qualité au niveau mondial.
Toutefois, en ce qui concerne les pays non occidentaux, les politiques étatiques et les liens de coopération entre les pouvoirs publics et les établissements demeurent encore fortement dominants. L’Etat chinois ne déroge pas à cette règle en tant qu’acteur majeur de régulation de l’internationalisation de son enseignement supérieur mais il adopte cependant une stratégie spécifique. En effet, la Chine compte le plus grand nombre d’étudiants dans le monde, avec un chiffre record de 1,27 million d’étudiants à la fin 2010, selon les statistiques du ministère de l’Education chinois.
Salima LAABI ZUBER – Docteur en Sociologie Politique de l’Université P8
Diplômée de l’IRIS Sup’ en Géoéconomie et intelligence stratégique
Sources :
Articles :
Christine Musselin, « Vers un marché international de l’enseignement supérieur ? », Critique internationale 2008/2 (n° 39), p. 13-24. DOI 10.3917/crii.039.0013
Stéphan Vincent-Lancrin, « L’enseignement supérieur transnational : un nouvel enjeu stratégique ? », Critique internationale 2008/2 (n° 39), p. 67-86. DOI 10.3917/crii.039.0067
Articles de presse :
Isabelle Dautresme, « Enseignement supérieur privé : quand les fonds font leur marché », L’Etudiant, 13 janvier 2014
Rapports :
Éditions OCDE 2008, L’enseignement supérieur transnational : Un levier pour le développement, OCDE, La Banque, mondiale.
Conférence OCDE, L’enseignement supérieur à l’horizon 2030 : accès, qualité et mondialisation, les 8 et 9 décembre 2008 à Paris, France.
Nicolas Charles, Quentin Delpech, avec la contribution de Julian Michelet (2016), Investir dans l’internationalisation de l’enseignement supérieur, France Stratégie, janvier 2016
Institute for Statistics-Canada, Higher Education in Asia: Expanding Out, Expanding Up, The rise of graduate education and university research (2014), UNESCO
Les étudiants étrangers : un enjeu de la politique migratoire, la lettre du CEPII, N° 338 – 20 décembre 2013