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Internationalisation de l’enseignement supérieur : le cas de l’Afrique – Salima Laabi Zuber

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Dans un précédent article, nous nous sommes concentrés sur l’internationalisation de l’enseignement supérieur à travers le cas de la Chine. Abordons désormais la cas de l’enseignement supérieur au sein des Etats africains ainsi que leurs stratégies d’internationalisation. L’Afrique ne peut pas être abordée comme un ensemble uniforme mais plutôt contrasté. Les pays africains sont néanmoins confrontés à l’impératif de l’adaptation de leur enseignement supérieur aux exigences de la mondialisation afin de s’arrimer à l’économie mondiale. Sur le plan démographique, les sociétés africaines devront gérer un doublement de leur population et un triplement de leur population urbaine d’ici 2040. Par ailleurs, le continent africain connaît un taux de croissance qui oscille autour de 4,5% depuis 2009, selon la dernière édition « d’Africa’s Pulse » de la Banque mondiale, où la Côte d’Ivoire, l’Éthiopie, le Mozambique, le Rwanda et la Tanzanie se distingueraient avec un taux de 7% au moins par an entre 2015 et 2017.

Les étudiants africains internationalisent leur cursus scolaire

En effet, les perspectives démographiques et de croissance participent à la création d’une classe moyenne en demande de formations supérieures et engendrent une mobilité estudiantine importante. En 2010, le continent africain – Maghreb compris – compte 380 376 étudiants en mobilité internationale, soit environ 10% du total de la mobilité étudiante mondiale. La France demeure le premier pays d’accueil du continent avec 115 195 étudiants, soit 29,2% du total de la zone. En mobilité entrante en France, cela représente 43% du total des étudiants étrangers dans l’Hexagone. La très grande majorité des étudiants africains en France provient des pays du Maghreb et d’Afrique sub-saharienne francophone. Cette mobilité en léger recul de l’ordre de 1%, semble profiter à l’Afrique du Sud avec plus de 28,8% et le Royaume Uni avec plus de 19,3%. On note néanmoins une forte attractivité vers certains pays asiatiques telle que la Malaisie qui a enregistré plus de 400% d’augmentation avec 14 744 étudiants. Par ailleurs, le nombre d’étudiants allant aux États-Unis et en Allemagne baisse respectivement de 2,3 et 4,8% sur la période 2006-2010. Selon les publications de l’UNESCO pour l’année 2010, le Maroc est le premier pays en termes de mobilité avec 42 800 étudiants soit 11,3% du total africain.

Cependant, l’analyse de l’internationalisation de l’enseignement supérieur dans le continent africain requiert la prise en compte de la dimension régionale et linguistique dans la mesure où la mobilité dépend de critères de l’influence culturelle, de la proximité régionale et des moyens financiers nécessaires à la formation. Ces éléments contribuent depuis quelques années à promouvoir une mobilité intra-régionale plus accessible.

La configuration de l’enseignement supérieur transnational en Afrique est, en effet, marquée par l’émergence de trois hubs d’influence linguistiques qui sont l’Afrique du Sud – via les pays anglophones de culture anglo-saxonne plus liés au Royaume-Uni –, le Maroc pour les pays francophones ayant une histoire partagée avec la France, et l’Angola vers les pays lusophones. Ces pays se transforment en plateformes régionales d’enseignement supérieur et tentent de développer une offre de formation supérieure et des conditions favorables d’accueil des étudiants étrangers africains.

Dans cette démarche se joue pour ses trois pays une course au leadership régional et une action offensive pour un positionnement concurrentiel dans le secteur de l’enseignement supérieur. Les objectifs sont d’ordre économique et visent des perspectives d’ouverture de nouveaux marchés par la création de liens culturels au travers des étudiants formés localement et la création d’un flux de transferts de connaissances et de technologies. Ces étudiants bénéficient de facilités administratives pour obtenir des visas, des frais de scolarité et un coût de la vie bien moins important que celui exigé en Europe ou aux Etats-Unis.

L’Afrique du Sud se distingue également par la qualité de son système d’enseignement supérieur public, considéré comme le meilleur de tout le continent africain, avec 23 institutions publiques et 115 établissements privés. L’Afrique du Sud, en tant que tête de pont économique de la région, s’est également engagée dans la compétition internationale de l’économie de la connaissance et souhaite devenir à travers son enseignement supérieur une société du savoir capable de générer les ressources humaines qualifiées qui lui manquent. Elle est pourtant confrontée à une faiblesse de son système d’éducation primaire et secondaire, malgré un taux de scolarisation élevé de plus de 90% jusqu’à 15 ans, et un investissement massif du gouvernement équivalent à 20% du budget de l’Etat. Chaque année, seulement 20% atteignent le matric (équivalent du baccalauréat nécessaire à l’admission dans une université), un chiffre qui a cependant doublé depuis la transition démocratique. Ajouté à cela un taux d’échec important au sein des université avec plus de 45% des étudiants qui sortent sans diplôme.

Le pays dispose néanmoins d’universités bien organisées sachant tirer profit de leur statut pour se financer correctement. Elles sont dotées en moyenne d’un budget annuel de près de 12 000 euros par étudiant. Les campus sont de très bonne qualité, de taille généralement importante, qui leur assure une bonne visibilité internationale. Le gouvernement met par ailleurs en place des programmes structurants, comme les centres d’excellence (7 centres dans le pays) et les chaires d’excellence (60 nouvelles chaires en 2012). L’ensemble de ce dispositif n’est pas sans attirer les étudiants des pays anglophones proches géographiquement, comme le Zimbabwe, le Namibie, le Botswana. Le pays est ainsi placé en 2e position des pays d’accueil et devenu la destination préférée des élites africaines pour les vacances, les études, les affaires, ou pour se soigner. Enfin, le niveau de développement de l’Afrique du Sud, proche de celui des pays d’Europe, ouvre des perspectives professionnelles intéressantes pour les étudiants.

Le Maroc, 2e hub de l’enseignement supérieur en Afrique, se place en 10e position des pays d’accueil et semble avoir pris conscience ces 10 dernières années de l’importance du développement d’une politique d’attractivité de son enseignement supérieur dans le continent. Il se caractérise par un système d’enseignement supérieur public de qualité en comparaison avec certains pays africains francophones. Il a engagé l’adoption du système LMD au même titre que les pays européens et les autorités ont mis en place des procédures d’accréditation pour les diplômes nationaux et pour les diplômes d’universités. Cette offre diversifiée peut encourager vers un choix d’étape pour les étudiants africains avant de poursuivre leurs études en Europe. Les filières les plus demandées sont la médecine, l’ingénierie et l’administration. Le Maroc connaît depuis quelques années une multiplication d’établissements d’enseignement supérieur privés étrangers de niveau de qualité inégale et la présence de programmes français délocalisés souvent de renommées tels qu’HEC, Sciences Po ou Ecole centrale. Il octroie également des bourses aux étudiants africains par le biais de l’Agence Marocaine de Coopération Internationale (AMCI). En 2013, il compte 6 500 boursiers issus de 42 pays africains parmi ses étudiants. Le ministère de l’Enseignement supérieur au Maroc mène, par ailleurs, actuellement une réflexion sur la création d’une agence de promotion de son enseignement supérieur à l’étranger sur un modèle proche de Campus France. On assiste dans ce pays à une politique volontariste et ambitieuse d’internationalisation de l’enseignement supérieur faisant l’objet de réflexion pour accueillir des universités et écoles étrangères (russes, italiennes, françaises, américaines, espagnoles) afin d’ouvrir des campus au Maroc. Il privilégie le système de délocalisation de programmes et d’importation de programmes étrangers d’excellence.

Le dernier projet de création de campus en cours est celui de la Ville Verte, à proximité de Benguerir (située entre Marrakech et Casablanca), pour la construction de l’Université privée Mohamed VI Polytechnique à vocation internationale ayant pour ambition d’accueillir des professeurs et chercheurs marocains et étrangers de renom. L’Université pluridisciplinaire accueillera plusieurs écoles dans les secteurs du management industriel, de l’ingénieur, de l’agriculture, du business, de l’architecture et de la santé.

A l’image des pays asiatiques (Chine, Singapour, Malaisie) et des pays des Emirats du Golfe (Dubai, Abou Dabi, Qatar), l’Afrique du Sud et le Maroc ont pour ambition stratégique de développer des universités de renommée mondiale et d’importer des formations occidentales réputées afin de produire une attractivité internationale. La notoriété de ces structures participe au pouvoir d’influence régionale de ces pays et contribue à l’ouverture de nouveaux marchés économiques. Dans cette perspective, le Maroc a, en l’occurrence, renforcé sa politique de coopération économique africaine et construit une diplomatie économique d’influence sectorielle en adéquation avec son plan « émergence 2020 », programme national de développement des filières marocaines à forts avantages compétitifs.

L’économie mondiale, fondée sur le savoir, influe sur la nature de l’internationalisation de l’enseignement supérieur et détermine les évolutions en cours dans le secteur, suivant les stratégies des acteurs, qu’ils soient étatiques ou privés. La capacité d’innovation et de développement technologique constitue un critère de gain en termes de compétitivité au sein d’une économie mondiale fondée sur le savoir. Les pays avancés dominent, certes, dans ce secteur ayant la primeur d’un enseignement de qualité, en l’occurrence pour les pays anglo-saxons qui mènent une action ciblée marketing et financière. Cependant, à la lumière de la démarche pour le moins offensive et innovante de pays tels la Chine ou de certaines économies émergentes du continent africain, l’internationalisation de l’enseignement supérieur assiste à l’émergence de nouveaux centres du savoir qui ont pour vocation de s’imposer en tant que référence mondiale. Le développement de ces hubs d’enseignement supérieur régionaux sont-ils en mesure à terme de concurrencer ceux des pays du Nord, notamment européens, en situation de replis pour certains, et en manque d’innovation et d’attractivité concurrentielle ?

Salima LAABI ZUBER – Docteur en Sociologie Politique de l’Université P8

Diplômée de l’IRIS Sup’ en Géoéconomie et intelligence stratégique

Sources :

Rapport :

La mobilité des étudiants d’Afrique sub-saharienne et du Maghreb, les notes de Campus France, Hors-série n° 7 – Juin 2013

Ouvrage :

Teferra D. et Greijn H. (2010), Enseignement supérieur et mondialisation Défis, menaces et opportunités pour l’Afrique, Maastricht University Centre for International Cooperation in Academic Development (MUNDO)

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