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La Françafrique, le plus long scandale de la République, François-­Xavier Verschave, Éditions Stock, 2003

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la-francafrique---le-plus-long-scandale-de-la-republique-26842-250-400Présentation de l’ouvrage :

François‐Xavier Verschave (1945-­2005) fut un économiste proche des thèses de Fernand Braudel et auteur prolixe sur les relations franco‐africaines. Il fut co‐fondateur puis président de l’association Survie, engagée dans la promotion d’une politique franco­‐africaine équitable et dans l’aide au développement. La Françacfrique, le plus long scandale de la République, publié pour la première fois en 1999, est un essai à porté historique retraçant la politique occulte de la France en Afrique sous la Vème République. Il diffusa le terme de « Françafrique », qu’il détourna en « France-­à­‐fric », en parodiant l’expression du président ivoirien Félix Houphouët‐Boigny désignant à l’origine des relations loyales. L’ouvrage, composé de 340 pages hors annexes, est divisé en trois parties distinctes.

La première partie a une teneur biographique et explicative ; l’auteur expose les raisons de son engagement et jette les bases du concept clé de l’ouvrage, la « Françafrique ». Il développe le concept de « Françafrique » ; dans le mécanisme de décolonisation massive qui suit la Seconde guerre mondiale, De Gaulle concède l’indépendance aux anciennes colonies françaises d’Afrique. Il va cependant mettre en place un système occulte, orchestré par Jacques Foccart depuis la cellule africaine de l’Élysée, par continuer à exercer une influence en Afrique. La première partie de l’ouvrage fourmille de scandales récents entourant les relations franco-­‐africaines afin de rappeler son caractère contemporain mais également afin de marquer l’horreur dans laquelle peut s’inscrire la « Françafrique ». Dès le deuxième chapitre, et à de multiples reprises dans cette première partie, l’auteur nous plonge dans le génocide rwandais et dans l’inaction sinon la complicité française avec le « Hutu Power » (p75). Il soulève la controverse autour du projet de « loi pour la survie et le développement » qui n’aboutira jamais, à cause de l’activisme de la cellule africaine de l’Elysée, malgré de multiples soutiens politiques et associatifs. Il évoque les détournements de l’aide publique au développement dont seulement 5% arriverait aux populations intéressées après être passée par le filtre des intermédiaires français et de certains chefs d’états africains (p56). L’auteur s’intéresse au cas de l’entreprise Elf, forme d’incarnation de la « Françafrique » mêlant affaires de corruption, implication des services secrets et des cercles politiques.

Dans une deuxième partie, l’auteur s’intéresse à dix exemples de relations franco-­africaines mêlant implication de hautes personnalités de la Vème République dans des guerres civiles, contournements d’embargos, assassinats, affaires de corruption, envois de mercenaires, etc. Cette partie se veut résolument historique et inquisitrice. Il est difficile d’établir une hiérarchie parmi les horreurs dénoncées par F‐X Verschave, cependant certains chapitres résument l’étendu des actions françaises. L’auteur y accuse la France d’avoir participée à des génocides au Cameroun, en profitant d’une sur-­‐attention portée alors sur les évènements algériens (chap1). Il raconte également l’assassinat surréaliste du président togolais Olympio dans l’enceinte de l’ambassade américaine (chap2). Ce dernier fut assassiné par un sergent de l’armée française, Eyadéma, soutenu par des diplomates français et un agent du SDECE dirigeant la gendarmerie locale. Le président Olympio fut abattu à 07h15, France Inter annonçait son décès à 06h. Le soutien français au mouvement sécessionniste du Biafra est également abordé avec la mise en place de reportages télévisés français dénonçant le génocide commis par les nigérians (chap4). Ceci sous fond de lutte contre l’influence anglo-­‐saxonne dans cette région pétrolifère. Autre affaire dénoncée et témoignant de l’ampleur des scandales de la « Françafrique » ; selon Verschave les autorités françaises auraient joué un rôle dans l’assassinat de la militante anti-­‐apartheid de l’ANC, Dulcie September, à Paris en 1988 et auraient empêché toutes actions judiciaires (chap7).

La dernière partie dresse un bilan de la « Françafrique » ; des conséquences désastreuses sur le développement économique, politique, social de l’Afrique. La fin de la guerre froide ne marque pas le tournant espéré dans la politique de la « Françafrique ». L’auteur rappelle le discours de La Baule de François Mitterrand en 1990 qui était sensé souffler un vent de démocratisation en Afrique mais le relativise face à la mise en place de systèmes de fraudes électorales massives. Verschave dresse un bilan du foccartisme suite à la mort de ce dernier le 17 mars 1997 ; les réseaux Foccart perdent en influence et sont progressivement remplacés par une nébuleuse d’acteurs politiques, économiques ou militaires rivaux (Elf, Bouygues, réseaux Pasqua, etc). L’auteur espère à demi mots que le gouvernement de cohabitation Jospin, mit en place en juin 1997, mettra un terme à ce « néocolonialisme caricatural » (p335). L’ouvrage se conclut en un appel à la citoyenneté, à la solidarité afin de soutenir l’Afrique dans son combat pour le développement.

François‐Xavier Verschave écrit dans un contexte particulier ; la fin de la guerre froide est consommée, il y a ouverture sur un monde multipolaire. Le mouvement de décolonisation laisse désormais place au thème de la dette des pays du tiers-monde. Les idées en faveur du tiers-­monde, qui commençaient à se développer durant sa jeunesse, sont désormais présente dans la société et largement diffusées depuis les premiers reportages rapportant les évènements de la guerre du Biafra. L’altermondialisme se développe largement depuis les années 80. En France, les années d’écriture de cet ouvrage voient l’arrivée au pouvoir de Jacques Chirac, qui fut impliqué dans de nombreux scandales africains, et l’alternance politique du gouvernement Jospin. La condition humaine est au premier plan avec en 1993 la publication de La misère du monde de Pierre Bourdieu ou avec la création d’ATTAC en 1998. Le continent africain voit l’horreur du génocide rwandais mais également, fait symbolique, l’indépendance de l’Afrique du Sud en 1994. Les pays « riches » occidentaux tendent à délaisser leurs aides publiques au développement pour les orienter vers les pays de l’ex Pacte de Varsovie.

Les thématiques abordées :

Les intentions de l’auteur sont claires ; il s’agit de dénoncer, de choquer. La première ligne de la quatrième de couverture est explicite « Attention : c’est un livre en colère », engagé également ; l’auteur aurait reversé l’intégralité de ses droits d’auteur à l’association Survie qu’il préside alors. L’ouvrage s’inscrit dans l’engagement de l’auteur ; président de Survie depuis 1995, il a déjà écrit des ouvrages relatifs aux rapports franco-­‐africains comme Complicité de génocide ? La politique de la France au Rwanda en 1994. Son travail a donc pour objectif de montrer les méfaits français en Afrique au grand public, en témoigne un style journalistique accumulant les évènements et la place donnée à l’horreur et au spectaculaire avec les nombreuses références à la Shoah dès le deuxième chapitre.

Ses prises de positions et idées fortes sont nombreuses ; les accusations pleuvent littéralement. Des personnalités politiques de tout bords de la Vème République sont accusées d’avoir soutenu des régimes dictatoriaux et génocidaires en utilisant les clauses secrètes d’accords de défense avec les anciennes colonies. Verschave dénonce l’implication de réseaux francs-‐maçons en particulier de la Grande Loge Nationale Française (p161), des médias dans des entreprises de censures (p54) ou de reportages de complaisances en faveur du régime sud-soudanais (p84). Il dénonce également le rôle joué par des entreprises truffées « d’anciens des services » (p139) comme Elf qui, avec l’influence des réseaux Foccart et le président ivoirien Houphouët, soutinrent la révolte du Biafra. Ceci afin de soustraire aux entreprises anglo-­saxonnes la manne pétrolière biafraise, et de sanctionner les prétentions régionales nigérianes (p141) dans un contexte de veto gaulliste à l’entrée du Royaume Unis dans le Marché Commun. Les services de la DST dans l’affaire Dulcie September par exemple (p198), le SDECE puis la DGSE sont à de nombreuses reprises accusés de soutiens matériels et humains dans des guerres civiles.

L’ouvrage vise avant tout à définir un concept développé par F-X Verschave ; la « Françafrique » se compose d’acteurs économiques, politiques, économiques et militaires français ou africains. Ils s’organisent en réseaux, lobbies cherchant à s’accaparer les rentes de l’aide publique au développement et les matières premières. Ce système permet également, par le système des rétro-­commissions, le financement de partis politiques français. Par le détournement de l’APD et le soutien à divers mouvements selon les intérêts en jeu, elle engendra et finança de nombreux conflits.

Analyse critique :

Les ouvrages traitant de la question des relations franco‐africaines sont nombreux aujourd’hui mais Verschave semble faire partie des initiateurs du genre ; en témoigne la multitude de livres traitant de la question publiés à partir des années 2000. L’auteur écrit dans une optique polémique et sur une période précise ; il souhaite susciter des réactions, il est donc difficile de le comparer avec d’autres ouvrages ayant des visées plus conventionnelles. Cependant il est possible de dire que certains ouvrages devraient être lus en parallèle afin de replacer l’Afrique dans une vision moins chaotique. Par exemple, Petite histoire de l’Afrique. L’Afrique au sud du Sahara, de la préhistoire à nos jours (2011) de Catherine Coquery-­Vidrovitch aborde l’histoire africaine d’une manière moins chaotique. Dans le même registre de relations franco-­africaines La France et l’Afrique, le combat des Anciens et des Modernes (2009) de Yves Gounin aborde la question de manière moins manichéenne et montre les aspects positifs de la présence française en Afrique et les enjeux stratégiques qu’elle représente pour l’hexagone.

En effet, l’auteur n’aborde pas, ou très peu, de questions concrètes de « realpolitik » comme la place de l’Afrique dans la politique arabe de De Gaulle ou encore les rivalités croissantes avec les puissances américaines ou chinoises sur le continent. L’ouvrage privilégie une approche spectaculaire mais c’est aussi son objectif ; toucher le plus grand nombre de lecteurs donc exclure les aspects techniques pour favoriser l’évènementiel, en témoigne d’ailleurs l’importante proportion de sources journalistiques. Une analyse profonde aurait pu pousser l’auteur à traiter de l’indépendance de Madagascar dès 1960 par exemple mais celle ci, moins sanglante que d’autres exemples continentaux, ne fut pas retenue. Enfin, la profusion de faits, de noms, les nombreuses notes de bas de pages impressionnent et donne l’effet d’un travail minutieux. Mais une telle profusion prête rapidement à confusion, il faut régulièrement retourner quelques chapitres en arrière pour combler une ellipse temporelle ou appréhender une relation occulte.

L’oeuvre de F‐X Verschave fut vivement critiquée ; en particulier la prépondérance de l’évènementiel quasi journalistique dans ses travaux. Maitre Vergès, défenseur de présidents africains accusés par l’auteur dira « Monsieur Verschave est un Tintin qui ne va pas au Congo de peur de rencontrer le lion ». Charles Pasqua intentera un procès contre l’auteur pour ses accusations de soutiens du régime sud-­soudanais contre la livraison du terroriste Carlos (p84) ; F-­X Verschave fut condamné à versé 1 franc symbolique au plaignant. Le tribunal ne remit pas en cause la véracité des accusations. L’auteur a réussi à faire entrer le terme de « Françafrique » dans le langage courant et c’était surement son principal objectif ; donner au plus grand nombre une vision négative, postcoloniale, de l’influence française en Afrique.

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