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Valéry Giscard d’Estaing et sa politique extérieure: modernité ou continuité ? (2/3 : une nouvelle pensée diplomatique)

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Souvent qualifié d’atlantiste, Valéry Giscard d’Estaing a bien davantage continué la politique de De Gaulle en politique extérieure. Bien ancré dans le camp occidental, sa politique étrangère s’est efforcée de poursuivre la ligne particulière de la France dans le monde qu’avait élaborée le Général de Gaulle. Pratiques néocoloniales, dialogue avec la Russie, préférence pour les pays arabes… Finalement peu voire rien n’a changé avec Giscard, mais le monde des années 1970 s’est lui brutalement transformé. 

Une nouvelle pensée de la diplomatie

Valéry Giscard d'Estaing, Guadeloupe, contexte international, dirigeants occidentaux
La conférence de la Guadeloupe (1979). Réunion entre Valéry Giscard d’Estaing et les trois autres grands dirigeants occidentaux dans le contexte tendu de la fin des années 1970.

Le 20 décembre 1974, en conclusion du sommet de Paris sur le fonctionnement de la coopération politique européenne, Valéry Giscard d’Estaing déclare : « On peut dire : vous êtes l’ami de tout le monde, des Soviétiques, des Américains, des Arabes. Effectivement je crois que notre rôle est d’être un facteur de conciliation. ». VGE ne conçoit plus en effet les relations avec les autres Etats en termes d’amis-ennemis mais en termes d’adversaires-partenaires.

Pour la première fois, la présidence française exprime officiellement l’idée de mener une politique des affaires étrangères mondialiste. Il devient indispensable de faire cohabiter ensemble différents espaces géographiques éloignés que la mondialisation contribue à rapprocher. La crise économique de 1973 touche en effet le monde entier et part des pays du Sud, en l’occurrence des pays exportateurs de pétrole. Dans la presse, on voit surgir des propos sur les enjeux migratoires, l’inégale répartition des richesses ou la mondialisation de la guerre froide. Rappelons que c’est au cours de la décennie 1970 que la Guerre froide s’exacerbe sur le continent africain, en Afghanistan, au Moyen-Orient. Le concept de Global Village inventé par McLuhan dans son ouvrage The medium is the Massage (1967) est largement relayé.

Les progrès scientifiques, de la conquête spatiale à l’entrée du téléphone dans les foyers français ouvre à une conception mondialisée du monde. Sous le mandat de VGE, le nombre de téléphones passe, en France, de 8 millions à 20 millions. Symbole de cette révolution, VGE s’adresse désormais aux autres chefs d’Etat directement par téléphone, une première.

Une diplomatie multipolaire et apaisée

Valéry Giscard d’Estaing s’engage ainsi directement dans les grandes questions internationales du monde d’alors. Il est le premier chef d’Etat européen à rencontrer Yasser Arafat en 1975 et l’un des plus ardents partisans occidentaux de la conférence d’Helsinki sur la sécurité et la coopération en Europe de 1975. L’homme est aussi l’un des interlocuteurs occidentaux privilégiés de Leonid Brejnev, qu’il apprécie en tant que personne. VGE était également attentif au développement de l’apprentissage du chinois en France. D’un autre côté, il consolide l’alliance occidentale. Il participe à la fondation du G6 en 1975 qui devient G7 en 1976 avec l’intégration du Canada.

Cette diplomatie multipolaire est parfois incomprise. En 1975, tout le monde trouve ridicule qu’il s’agenouille devant le mausolée Lénine à Moscou. Il passe dans la presse pour une pâle copie de Willy Brandt, qui, cinq ans plus tôt, s’était agenouillé devant le mémorial aux morts du ghetto de Varsovie. Les Soviétiques ne comprennent pas son concept de « coexistence idéologique » en complète contradiction avec la « coexistence pacifique » qui ne traite pas d’affaires sociales. En 1979, son retard à condamner l’intervention soviétique en Afghanistan passe mal. Tout comme sa visite en Pologne en avril 1980 où il rencontre Brejnev, alors boudé par les Occidentaux dans le cadre du conflit afghan.

Une volonté d’indépendance ?

Par ses résultats, la politique étrangère de Giscard ne semble pas s’éloigner de celle posée par le général de Gaulle. Politique pro-arabe, dialogue franco-soviétique, pas de réintégration du commandement intégré de l’OTAN. Le pré-carré africain reste un domaine d’exclusivité présidentielle. Pourtant la notion d’indépendance est moins souvent évoquée. Ce qui obsédait de Gaulle c’était le concept d’indépendance nationale de la France. Giscard, lui, s’intéresse, à la coexistence mondiale de tous les espaces géographiques et à leur conciliation. « Charles de Gaulle et Pompidou pouvaient eux aussi être conciliants. Ce n’était pas, pourtant, pour eux, une sorte de principe. L’esprit qui animait le général était celui de la résistance. De Gaulle opérait des choix catégoriques. » C’est par ces mots que l’historien français Charles Zorgbibe compare en 1976 la politique extérieure de l’homme de Colombey de celle du natif de Coblence.

Pourtant de nombreuses décisions montrent que Giscard peine à choisir entre ces deux voies. En effet il continue comme ses prédécesseurs à développer massivement la force de frappe de la France. Il décide par exemple de construire des porte-avions à propulsion nucléaire. On augmente pendant la période de sa présidence les crédits de la défense chaque année. C’est surtout dans le pré-carré français que la politique extérieure reste inchangée.

La fierté des « immortels principes de 1789 »*

La Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen adoptée par l’ONU en 1948 au palais de Chaillot est la bannière brandie par la présidence VGE. « Le mot qui convient à la France est celui de rayonnement. Pour que la France rayonne elle doit offrir une image humaine, libérale, mondialiste et moderne. » (discours de VGE lors du nouvel an 1975-1976). Chiliens, argentins, puis boat-people sont le visage de cette politique d’asile volontariste. On compte par exemple à peu près 9000 réfugiés chiliens en France en 1980. Néanmoins Valéry Giscard d’Estaing ne fait que poursuivre une politique initiée par Pompidou en 1973.

Pourtant, faute de moyens, ces politiques d’accueil sont rarement poursuivies à terme. Pour les réfugiés chiliens, le gouvernement par l’intermédiaire FAS (Front d’action sociale) n’avait pas prévu l’hébergement et les cours de langue de ces réfugiés… que pour 6 mois seulement. Les versements, finalement prolongés, tardent souvent et se révèlent insuffisants. Les associations comme la Cimade doivent peu à peu complètement se substituer à l’action publique.

Dans le même temps, la France se ferme aux étrangers par une politique d’immigration devenue très restrictive. L’administration Postel-Vinay adopte dès 1974 une circulaire empêchant de délivrer des autorisations de travail aux étrangers. Pour le regroupement familial, c’est une politique de stop and go qui caractérise son mandat. Dans un contexte de crise économique, la France qui promeut en politique extérieure l’ouverture au monde est elle-même devenue une forteresse.

(*) « Le miroir », Charles Baudelaire, Les petits poèmes en prose, 1869

Sources complémentaires

Charles Zorgbibe, « Les grandes lignes de la politique étrangère de la France », Studia diplomatica, 1976/4

Voir aussi les articles de François Seudoux publié entre 1974 et 1981 dans la Revue des deux mondes, disponible sur Jstor.

Boucheron Patrick, Histoire mondiale de la France, Paris, Seuil, 2017, 795p.

https://www.franceculture.fr/emissions/le-temps-du-debat/La-France-de-Giscard-la-fin-du-mythe-de-la-grandeur

https://www.franceculture.fr/emissions/lesprit-public/la-politique-etrangere-de-valery-giscard-destaing

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Paul BATCABE-LACOSTE

Paul Batcabe-Lacoste est élève normalien à l'ENS Paris-Saclay et étudie la sociologie, le tchèque et l'histoire contemporaine. Ses thèmes de prédilection concernent le sport comme fait social et l'Europe médiane et balkanique. Il est également intéressé par l'histoire des mondes communistes et celle des gauches européennes.

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