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Heartland, Rimland : quelle théorie pour l’espace maritime contemporain ?

Lorsqu’il affirma à la fin du 16ème siècle que « quiconque contrôle la mer contrôle le monde », l’explorateur Walter Raleigh était loin d’imaginer qu’il formulait une équation géopolitique appelée à une longue postérité, mais également à susciter de vives polémiques. Dans un monde où la mondialisation se traduit par une maritimisation des espaces, comment comprendre aujourd’hui les stratégies en matière d’espaces maritimes ? Dans ce cadre, nous nous intéresserons aux différents concepts développés à travers l’histoire afin de voir ce qui les fait converger ou diverger avant d’ouvrir des voies plus contemporaines.

100 ans après, la théorie du Heartland peine à convaincre les Etats préférant une conception géoéconomique des espaces maritimes
100 ans après, la théorie du Heartland peine à convaincre les Etats qui préfèrent une conception géoéconomique des espaces maritimes

Longtemps considérée comme la principale puissance maritime, le Royaume-Uni a pu parvenir à s’imposer comme la puissance dominante grâce à une avance incessante face à la France, déléguée au second plan, et face à l’Allemagne en proie à un effet de rattrapage nécessitant un important effort financier. Alfred Mahan, géopoliticien américain, pose la primauté de la puissance maritime sur la puissance terrestre. Il s’intéresse particulièrement à l’identité géographique des États pour déterminer leurs dispositions de puissance. Mahan est donc inquiet de l’avance britannique sur les États-Unis sur ce point. Cette première théorie, appliquée par Théodore Roosevelt, engendre un bouleversement dans la politique américaine puisque les États-Unis n’hésitent plus à prendre pied hors de leur environnement continental.

Toutefois, la thèse de Mahan ne se veut pas complète selon Halford Mackinder. Dans une conférence intitulé « Le pivot géographique de l’histoire », Mackinder reconnaît la pertinence des thèses de Mahan pour mieux dénoncer leur inutilité géopolitique : pour relier l’Europe à l’Asie, il devient plus simple et efficace d’emprunter la voie terrestre. La puissance globale ne dépend plus tant de la capacité à maîtriser les mers que celle de contrôler les terres. Le défi est désormais de s’emparer du Heartland (territoire central) eurasiatique, défi renforcé par la hantise de voir la Russie le contrôler. Cependant, il est nécessaire de noter qu’il ne s’agit en rien d’un dédain envers la puissance maritime. Simplement, la puissance maritime ne devient que la conséquence et non la source de la puissance terrestre.

Au cours du 19ème siècle, Nicholas J. Spykman réalise la synthèse entre Mahan et Mackinder. Il insiste sur la concentration des efforts sur le Rimland (« bord du monde »). Il s’agit de la ceinture littorale qui enserre littéralement le Heartland décrit par Mackinder.  En somme, Spykman valide Mahan sans contredire Mackinder. Le Rimland présente un double avantage : d’une part, il assure la maîtrise des mers, d’autre part, il permet le maintien de la pression sur le Heartland. En conclusion, en termes de gestion des espaces maritimes, Spykman appelle les États à s’insérer dans une zone tampon entre les puissances maritimes et les puissances terrestres, à fonctionner de manière amphibie, à se défendre sur terre et mer.

Une étude de cas sur la Chine nous permet d’établir le lien entre la puissance maritime purement militaire et la puissance maritime à visées économiques.

La modernisation fulgurante des capacités maritimes chinoises (porte-avion Liaoning en 2012, corvettes Jiangdao, destroyers multifonctions Luoyang II) marque la volonté portée par Xi Jinping de créer une puissance amphibie, une puissance capable de projeter sur terre une force militaire venant de la mer. Toutefois, en vertu des perspectives militaires nuancées par un climat régional conflictuel, l’aspect économique de la puissance amphibie chinoise permet d’ouvrir de nouveaux horizons tant pour la sécurisation de ses approvisionnements le long du collier de perle, tant pour les pénétrations de marchés économiques.

On retrouve ici la théorie plus contemporaine de Jean Gottmann. La mondialisation a pour support privilégié les espaces maritimes : « il faut avoir présent à l’esprit que la maritimisation est un phénomène irréversible et croissant ; les nations se tournent de plus en plus vers la mer ; elles développent sans cesse leurs intérêts » selon André Vigarié. Dès lors, la puissance découle moins de la capacité à contrôler des terres qu’à contrôler les flux. Gottmann fait des régions littorales les véritables sièges de la puissance à l’instar de la Megalopolis, symbole des fortes interactions entre les phénomènes de mondialisation et de maritimisation.

En conclusion, l’important n’est pas de choisir entre le contrôle unique des mers (Mahan), des terres (Mackinder) mais de prendre conscience du caractère crucial des littoraux. Les luttes pour les ZEE (Zones Economiques Exclusives) à l’image du conflit sino-japonais pour les îles Senkaku/Diaoyu illustrent cette prise de conscience à l’échelle mondiale. Selon Maurice Papon, on assiste à une croissante nationalisation des espaces maritimes depuis l’accord de Montego Bay de 1982. Spykman et Gottmann ne partagent toutefois pas exactement la même pensée. Pour Gottmann qui s’inscrit dans une démarche résolument moderne, la puissance maritime est d’abord économique et non militaire.

 

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