Pourquoi exporter des armes ? (1/2)
L’année 2015 est saluée par le gouvernement pour avoir déjà marqué un record dans l’exportation d’armes. Ce dernier n’a pas hésité à communiquer sur ses chiffres positifs, mettant en avant le Ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, aussi surnommé « VRP de l’armement ». En 2014, le montant total des exportations d’armes françaises s’élèvait déjà à 8.2 milliards d’euros. Pour cette année, l’exercice n’est pas encore terminé que les contrats totalisent déjà plus de 15 milliards d’euros. Face à l’emballement médiatique sur ces montants, il convient peut-être d’en revenir à une question à première vue triviale. Il s’agit ici de cerner quels sont les enjeux de l’exportation d’armements, à l’écart de toute considération morale ou éthique.
Objectifs économiques – « relai de croissance » & économies d’échelle
Il s’agit de l’argument le plus mis en avant dans la communication gouvernementale. Ce n’est pas obligatoirement la première motivation mais celle-ci a le mérite de repousser les critiques émanant de la société civile sur la vision d’un Etat national « marchand de mort ». Objectivement, le secteur de la défense représente 27.500 emplois directs et indirects. De plus, les exportations françaises permettent de réduire de 40% le déficit de la balance commerciale française. D’un point de vue macroéconomique, la commande d’armes signifie une accentuation de l’effort de R&D pour un secteur toujours plus gourmand en intensité capitalistique. En clair, la stimulation du secteur de la défense permet de dégager du progrès technique qui peut se traduire en externalités positives, et donc dégager de la croissance. Enfin, l’exportation d’armes permet aussi de réaliser des économies d’échelle. En augmentant ses carnets de commande, l’entreprise pourra baisser le prix unitaire de ses produits. C’est un argument non négligeable pour l’Etat national de l’entreprise, puisqu’il s’agit très souvent de son principal client.
Objectifs stratégiques – préservation d’une base industrielle de défense
Enjeux moins abordés mais davantage cruciaux, l’exportation d’armements répond à des besoins stratégiques. Tout d’abord, cela vient compléter les commandes de l’Etat national et donc renforcer le chiffre d’affaires de la Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD). Une BITD regroupe l’ensemble des entreprises du complexe militaro-industriel, qu’elles y soient directement ou indirectement impliquées. Un Etat a tout intérêt à gonfler les carnets commandes de sa BIDT car elle sera ainsi plus apte à développer des compétences industrielles et technologiques. En encourageant le développement de sa BITD, un Etat accroît son autonomie d’action sur la scène internationale. Il n’a pas à se fournir en matériel militaire à l’étranger. Mais l’entretien d’une BITD représente un coût important pour un Etat. Dans le secteur militaro-industriel, l’effort d’investissement est lourd mais aussi et surtout, une entreprise est peu encline à développer une arme dont elle sait que le marché est restreint par son nombre de clients potentiels, ainsi que sa soumission à l’autorisation d’export par l’Etat national. S’il veut développer et conserver sa BITD, un Etat est donc obligé d’injecter de l’argent public à coup de subventions et de commandes fermes pour maintenir à flot son complexe militaro-industriel.
Cette contrainte s’illustre clairement avec le Rafale. Depuis son lancement, l’Etat français a été jusqu’il y a peu le seul acheteur de cet avion. Le programme d’achats répondait certes à un souci de modernisation des forces aériennes, mais il répondait aussi au maintien en vie d’un savoir-faire français en matière d’aéronautique. Or pour que la production du Rafale soit économiquement viable, Dassault Aviation devait sortir annuellement 11 avions de ses usines. Dans cette relation d’interdépendance qui noue l’Etat et son complexe militaro-industriel, l’Etat avait passé une intention de commande de 225 appareils. Aujourd’hui, l’exportation du Rafale permet donc à l’Etat de se soulager financièrement puisqu’il n’a plus à supporter seul le maintien en vie de la ligne de production. A ce titre, avec 180 avions commandés effectivement, il est certain que l’Etat français n’atteindra pas son intention de commande de 225 appareils. Cela lui permet de dégager des économies sur le budget et de les réaffecter à d’autres investissements.
L’export d’armes est donc un enjeu économique et stratégique relativement fragile parce qu’il est encadré par des contraintes inhérentes à la nature de ce type de marché. La solution serait-elle de pousser les exportations le plus haut possible pour aider le complexe militaro-industriel à se développer ? Non plus. Si le secteur de la défense affiche un taux d’ouverture trop important, si ses exportations représente une trop grande part de son chiffre d’affaires, alors il est trop dépendant de la conjoncture internationale et peut souffrir de ses aléas (détérioration des relations, embargos,…). Pour être stable, un secteur de la défense doit en premier lieu vendre à l’Etat national auquel il appartient. Cela explique pourquoi seules les grandes puissances peuvent se permettre d’avoir des BITD réellement compétitives.