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Russie : un accident nucléaire qui inquiète

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Trois semaines après l’accident qui s’est produit le 8 août sur un site militaire de la région d’Arkhangelsk, dans le Grand Nord russe, la Russie cultive le mystère sur les causes et les conséquences de l’explosion, secret d’État oblige. Dans un contexte international de résurgence de l’arme nucléaire, cet accident nucléaire inquiète, à la fois en termes d’opacité des autorités russes et de gravité. 

Le missile 9M730 est accusé d'être responsable de l'accident nucléaire.
Le Burevestnik 9M730, missile de croisière intercontinental russe expérimental à propulsion nucléaire, aurait une portée illimitée.

Le mystère plane toujours autour de l’explosion qui s’est produite le jeudi 8 août sur un site militaire de la région d’Arkhangelsk, dans le Grand Nord russe. L’accident nucléaire aurait eu lieu sur une plateforme maritime de lancement de missiles, au large du village de Nionaksa, près de la frontière finlandaise. L’armée russe a, dans un premier temps, confirmé la mort de deux “spécialistes” intervenant sur le site. Lundi 12 août, le New York Times évoquait sept morts. Cinq sont officiellement reconnus, d’après un communiqué de Rosatom. L’agence de l’énergie nucléaire russe fait également part de trois blessés graves.

Des taux de radiation seize fois supérieurs

En dehors de ces rares informations officielles, les circonstances de l’accident restent nébuleuses. Moscou multiplie les déclarations contradictoires sur l’ampleur des risques de contamination radioactive. La grande ville la plus proche, Severodvinsk, a enregistré une hausse de la radioactivité. Alors qu’elle avoisine habituellement les 0,11 microsievert par heure, elle a atteint 2 microsieverts quelques heures après l’explosion.

Les autorités russes, quant à elles, ont d’abord indiqué qu’il n’y avait pas eu de contamination radioactive. L’agence russe de météorologie Rosguidromet a finalement confirmé les mesures communiquées par la mairie de Severodvinsk. La radioactivité aurait ainsi dépassé jusqu’à 16 fois le niveau habituel, 20 fois selon l’ONG Greenpeace. Ces taux restent en dessous des seuils de dangerosité, mais ont provoqué un certain affolement chez les riverains de Severodvinsk. Le 14 août, les autorités ont évacué le village le plus proche du lieu de l’accident, suggérant des dangers plus graves que prévu initialement.

Zone d’exclusion et fission nucléaire

La Russie a également reconnu qu’un médecin ayant participé au traitement des blessés après l’explosion a été contaminé à l’isotrope radioactif césium 137. D’autres médecins ont été envoyés à Moscou pour examens après avoir signé un accord de confidentialité. Enfin, lundi 26 août, l’agence Rosguidromet a dévoilé avoir relevé des isotopes radioactifs de strontium, de baryum et de lanthane dans la ville de Severodvinsk qui seraient, selon un spécialiste cité par l’agence de presse russe Ria Novosti, le produit d’une fission nucléaire.

Selon le journal Le Monde, la flotte militaire russe a déployé un navire spécialisé à l’intérieur de la zone d’exclusion. Ce navire aurait pour charge de récolter les débris radioactifs de l’explosion. Les autorités ont également fermé à la navigation une partie de la baie de Dyina, sans que l’on connaisse les raisons de cette décision. La zone doit rester interdite à la navigation civile jusqu’en septembre.

Un essai raté du missile Skyfall ?

Secret d’État oblige, la Russie cultive également le flou sur le type d’armement testé qui aurait provoqué l’explosion. On sait que la base militaire concernée, ouverte en 1954, se spécialise dans les essais de missiles balistiques de la flotte russe. Deux jours après l’accident, Rosatom a reconnu une explosion “à caractère isotopique lors d’un “test de nouvelles armes”. L’agence russe a cependant nié toute réaction nucléaire.

Selon les services de renseignements américains et des experts indépendants, l’arme testée serait vraisemblablement un missile 9M730. Ce missile, appelé “Bourevestnik” (“oiseau de tempête” en russe), et surnommé “Skyfall” par l’OTAN, est l’une des six armes stratégiques dévoilées par Vladimir Poutine en mars 2018. Le président russe avait alors affirmé qu’il s’agissait d’un missile de croisière “invincible, indétectable et d’une portée illimitée”. La Russie craint en effet que ces missiles balistiques soient vulnérables aux défenses américaines actuelles et futures. Ses missiles de croisière, quant à eux, ne possèdent pas une portée suffisante pour pouvoir atteindre chaque partie du monde.

Le projet “Bourevestnik”, priorité de la défense russe, a alors pour ambition de créer un missile capable d’avoir une autonomie de vol lui permettant de percer et contourner toutes les défenses antimissiles. Ce missile hypersonique, qui pourrait être envoyé du plus profond du territoire russe, constituerait alors une menace crédible contre laquelle il deviendrait difficile de se défendre. L’accident nucléaire du 8 août constitue donc un revers pour le programme d’armement russe, sur un projet qui attirait déjà le scepticisme des experts face aux gigantesques défis techniques et de sécurité qu’il présente.

Série d’accidents militaires en Russie, le nucléaire civil inquiète

Le manque de sûreté du nucléaire russe interroge, alors que les accidents militaires se sont succédés en Russie cet été. Celui du 8 août n’est pas le premier à impliquer une dimension nucléaire. En juillet, un incendie à bord d’un sous-marin à propulsion nucléaire a tué 14 personnes. En septembre 2017 déjà, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) observait une dispersion aérienne de ruthénium 106, un produit de fission issu de l’industrie nucléaire, sans obtenir la confirmation d’un incident de la part de Rosatom. La Russie est particulièrement critiquée sur le manque de transparence des autorités à propos de ces accidents.

Un autre projet, civil cette fois, est au cœur des inquiétudes. Rosatom a mis au point la première centrale nucléaire flottante. Inauguré en avril, l’Akademik Lomonosov sera opérationnel en avril 2021. Une telle entreprise n’est pas sans danger. Le conglomérat russe affirme que la centrale sera “invincible”, pouvant résister à toutes sortes de catastrophes naturelles. Elle disposerait “des systèmes (…) de sécurité les plus modernes et devrait être l’une des installations nucléaires les plus sûres au monde”. Les ONG de défense de l’environnement mettent cependant en garde contre un “Titanic nucléaire”, un “Tchernobyl flottant”, particulièrement “exposé aux phénomènes météorologiques et aux menaces telles que le terrorisme”.

Accident nucléaire : des dommages graves à l’environnement

Il faut rappeler que les conséquences d’une explosion nucléaire seraient absolument dramatiques. Elle dévasterait des territoires entiers, provoquant des dommages étendus, durables et graves à l’environnement. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, une explosion nucléaire entraînerait un refroidissement de la température terrestre. C’est ce que les scientifiques nomment “l’hiver nucléaire”.

Au début de l’année 2019, dans un contexte international instable où l’arme nucléaire ressurgit comme un pilier des stratégies de défense nationale et menace de nombreuses régions, l’arsenal nucléaire mondial est encore constitué de 13 865 ogives nucléaires fonctionnelles. C’est autant de risques d’explosions volontaires (guerre, même limitée), d’accidents ou d’erreurs qui viendraient irrémédiablement changer la société humaine dans laquelle nous vivons.

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Solène VIZIER

Solène Vizier est diplômée d’un Master 2 Etudes Stratégiques. Passionnée de géopolitique, ses domaines de spécialisation concernent les mondes hispanophone et russophone, le désarmement nucléaire et la géopolitique du sport. Elle est rédactrice aux Yeux du Monde depuis avril 2019.

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