Japon 2019 : mondialisation et internationalisation du rugby
Le 20 septembre, le coup d’envoi de la neuvième Coupe du monde de rugby à XV était donné à Tokyo. Le choix du pays du Soleil-Levant pour organiser cette compétition internationale n’est pas un hasard. World Rugby, l’organisme international qui chapeaute le rugby à XV et le rugby à VII, applique depuis plusieurs années une stratégie de développement active et vise particulièrement l’Asie.
Un sport imparfaitement mondialisé
Il est aujourd’hui difficile de parler de mondialisation à part entière du rugby. En effet, seulement 121 fédérations nationales sont membres de World Rugby. À titre de comparaison, les fédérations internationales de football, de volley ou encore d’athlétisme regroupent 210 fédérations membres. Le rugby est encore un sport en développement, dont la fédération internationale ne comptait que 8 pays membres à l’aune de la première Coupe du monde en 1987.
Néanmoins, une dynamique s’est amorcée ces dernières années, et deux pôles de développement majeurs se sont affirmés. D’un côté, la pratique féminine s’est accélérée. Ce vivier presque inexploité permet d’ouvrir de nouveaux territoires à World Rugby et de fidéliser un nouveau public. Des plans de communication ont ainsi été mis en place afin de favoriser la féminisation de ce sport.
De l’autre côté, le rugby à VII est devenu un fer de lance du développement rugbystique. Sport olympique depuis les Jeux de Rio en 2016, son dynamisme et sa hiérarchie moins fixée que celle du rugby à XV ont poussé de nombreux pays à se lancer. World Rugby mise beaucoup sur le VII dans le futur, conscient de l’attrait que représente une potentielle médaille olympique.
La Coupe du monde 2019 : tremplin pour la diffusion du rugby en Asie
L’organisation de la Coupe du monde de rugby, grand événement sportif aux retombées économiques et médiatiques importantes, était un enjeu géopolitique pour le Japon. Suite à une lutte acharnée, l’Archipel a finalement obtenu l’organisation de la Coupe du monde 2019 en 2009.
World Rugby était quelque peu réticent et craignait un échec financier dû au manque d’intérêt que suscite le rugby en Asie. Néanmoins, le choix du Japon permettait d’ouvrir une brèche dans le marché asiatique.
Les craintes initiales ont d’ailleurs rapidement été balayées par l’engouement au Japon. La Coupe du monde 2019 est ainsi promise à devenir la plus prolifique de l’histoire. Selon les prédictions, l’édition japonaise devrait rapporter 293 millions d’euros de revenus commerciaux contre 277 millions d’euros pour l’édition anglaise de 2015.
Face à cette flambée de popularité, les organisateurs veulent suivre l’exemple de la Coupe du monde de football 2002, organisée conjointement par le Japon et la Corée du Sud. Cet événement fut un tournant majeur pour le sport asiatique. Il provoqua un emballement grâce auquel le marché du football asiatique est aujourd’hui valorisé à plusieurs milliards d’euros.
Toucher la Chine où le sport pèse déjà plus de 295 milliards d’euros est l’objectif affiché de World Rugby. Lors de la vente des droits de diffusion de la Coupe du monde 2019 à la Chine, la fédération internationale a ainsi favorisé l’audience plutôt que les profits en permettant à 800 millions de téléspectateurs chinois de regarder gratuitement les matchs sur la chaîne publique CCTV.
Brett Gosper, directeur de World Rugby, estime que la Corée du Sud et la Chine font des « bonds de géant ». Ceci permet à l’instance internationale d’avancer des objectifs ambitieux pour les prochaines années. Elle vise 40 millions de supporters supplémentaires et 2 millions de nouveaux joueurs d’ici la fin 2020.
De nombreuses initiatives mises en place sur le continent asiatique participent à la propagation de l’Ovalie. Depuis 2016, la campagne « Impact Beyond 2019 » a permis à 200 000 enfants de découvrir le rugby à l’école. De la même manière, le programme ChildFund « Pass it back » utilise le rugby pour aider les enfants défavorisés au Vietnam, en Thaïlande et au Laos.
La diversité de l’équipe japonaise : l’internationalisation du rugby à échelle variable
En cours de mondialisation, le rugby est un sport internationalisé depuis plusieurs décennies. L’internationalisation des équipes nationales a effectivement un caractère historique. Elle est liée au fait que le rugby, né en Angleterre au XIXème siècle et qui s’est diffusé dans tout l’Empire britannique, a rapidement accepté que les émigrés britanniques puissent représenter leur pays d’accueil. Ceci fait que les règles de World Rugby pour jouer dans la sélection nationale d’un pays étranger sont relativement souples.
Cette internationalisation est devenue un phénomène mondial. 22% des joueurs sélectionnés pour la Coupe du monde 2019 ne sont pas nés dans le pays pour lequel ils jouent. Six pays différents sont ainsi représentés au sein de la sélection japonaise, et 15 joueurs sur 31 sont d’origine étrangère. Jamie Joseph, le sélectionneur du Japon, insiste sur le fait que ces joueurs doivent « se battre comme si le Japon était leur pays ».
Le capitaine de l’équipe nipponne Michael Leitch, d’origine néo-zélandaise, abonde dans ce sens. Il constate que « l’atout de cette équipe, c’est sa diversité. En se battant ensemble, les joueurs japonais et étrangers obtiendront, j’en suis sûr, de bons résultats ». Koji Tokumasu, responsable du comité d’organisation de la Coupe du monde 2019 estime par ailleurs qu’« en cette ère de mondialisation où l’on doit accueillir davantage de travailleurs immigrés, la sélection japonaise de rugby peut représenter un modèle pour notre société ».
À l’ère du sport business où les sommes colossales générées par les grands événements sportifs en font des enjeux géopolitiques indéniables, le rugby est bel et bien ancré dans son époque.
Sources :
– GOMEZ Carole, Le rugby à la conquête du monde : Histoire et géopolitique de l’ovalie, Paris, Armand Colin, 2019
– « Coupe du monde de rugby : au Japon, tout reste à faire », Courrier international, 2019 (https://www.courrierinternational.com/article/sport-coupe-du-monde-de-rugby-au-japon-tout-reste-faire)