La nation européenne, Bernard Guetta – Fiche de lecture
Bernard Guetta est un journaliste spécialiste des relations internationales passé par de nombreux médias au cours de sa carrière : Le Monde (1979-1990) en tant que journaliste, L’Expansion (1991-1993) et le Nouvel Observateur (1996-1999) en tant que directeur de la rédaction, ou encore France Inter (1991-2018) en tant que chroniqueur. Depuis 2019, il est député européen et siège au Parlement au sein du groupe Renew Europe. Il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages, dont le plus récent, “La nation européenne”, publié en mai 2023 aux éditions Flammarion.
Dans cet ouvrage, Bernard Guetta décrit son récit comme « celui d’une profonde et double mue d’un homme et de l’Europe”. En effet, en tant que journaliste aguerri, il met “son métier au service de sa fonction”. Il enquête sur le terrain et nous explique les mécanismes menant à ses prises de décisions fonctionnelles de député européen.
Le “troisième moment” de l’Union européenne
Bernard Guetta considère que l’Union européenne entre actuellement dans le « troisième moment de son histoire ». Après la formation du Marché unique et l’introduction de l’euro, il s’agit désormais de « la construction d’une Union politique ». Il met en exergue un triptyque de facteurs étant à l’origine des récentes prises de décision de l’Union européenne.
Chronologiquement, le premier facteur déclencheur est l’élection du milliardaire républicain Donald Trump aux présidentielles des États-Unis, en 2016. Par ses prises de position sur une éventuelle intervention des États-Unis en cas de menace de la sécurité des pays européens, l’ex-président (2017-2021) est à l’origine de la montée d’un sentiment de défiance d’une partie de ses pays (région de la Baltique, notamment) concernant les questions de défense nationale. De facto, le sujet d’une défense européenne revient progressivement à la table des négociations du Parlement européen.
Le deuxième facteur mentionné est la pandémie de Covid-19. La propagation importante du virus à l’échelle mondiale est à l’origine du déploiement de mesures sanitaires exceptionnelles et drastiques. Afin de répondre à ses conséquences économiques considérables, l’Union européenne se mobilise. En juillet 2020, sous l’impulsion du président français Emmanuel Macron puis, du tandem franco-allemand (avec Angela Merkel), les 27 parviennent à un accord inédit sur un plan de relance européen d’un montant total de 750 milliards d’euros.
Le troisième facteur est l’agression de la Russie de Vladimir Poutine sur l’Ukraine de Volodymyr Zelensky. Depuis le début de l’invasion en février dernier, le conflit perdure et l’Union européenne se mobilise. Très rapidement, les 27 parviennent à se mettre d’accord et adoptent une série de sanctions (sanctions économiques fortes et livraisons communes d’armes) pour sanctionner la Russie et aider l’Ukraine.
Additionnellement au triptyque de facteurs mis en exergue par Bernard Guetta, nous pouvons mentionner l’importance du Brexit. Le retrait effectif du Royaume-Uni (31 janvier 2020), une des trois grandes puissances de l’Union Européenne a divisé. La perte des britanniques dont l’importance économique et politique est non négligeable a nécessairement fragilisé la puissance européenne. Cependant, il semble également avoir servi de détonateur à l’Europe. L’intérêt de l’Union Européenne a été remis en question et la prise de conscience de la nécessité d’agir ensemble à l’échelle européenne semble en être sortie renforcée.
L’adresse au peuple russe : du projet à sa publication
Dès ses premiers jours au Parlement européen, Bernard Guetta fait part d’une de ses ambitions : “faire passer l’idée que Poutine n’était pas éternel” et s’adresser directement au peuple russe “par-dessus la tête de Poutine, pour leur faire voir la possibilité d’un avenir commun”.
Dans la continuité de son métier de journaliste, Bernard Guetta nous détaille les contours de son voyage diplomatique. Il se rend dans les pays baltes et en Pologne afin d’y entendre le point de vue de connaissances locales. De cette investigation, il tire plusieurs conclusions. Il souligne notamment les faiblesses de Vladimir Poutine sur sa scène intérieure. Intégrant ses observations polono-baltes à celles franco-allemandes, il complète son projet d’ “adresse au peuple russe”.
Bernard Guetta soumet ensuite son texte à son groupe parlementaire européen, Renew Europe. Dans un premier temps, ce dernier le refuse, avant de finalement accepter un rapport modifié par les conseillers de Renew Europe. Bernard Guetta, non satisfait de la situation, prend l’initiative de proposer le texte original au député européen Andrius Kubilius.
L’ex-premier ministre de la Lituanie exprime son accord sur les idées principales du texte. Il en développe un rapport signé des trois rapporteurs Russie des trois principaux groupes politiques du Parlement européen (Andrius Kubilius pour le PPE, Włodzimierz Cimoszewicz pour les Sociaux-démocrates, et Bernard Guetta pour Renew) qu’il soumet au Parlement. Ce dernier est majoritairement validé par les députés européens.
Début décembre 2021, ils publient simultanément l’ “Adresse au peuple russe” au sein plusieurs médias européens tels que la Repubblica (Italie), Delfi (Estonie, Lettonie et Lituanie), Libération (France), Nerikes Allehanda (Suède) ou Echo Moskvy (Russie).
Quelle architecture pour l’Union européenne ?
Dans la dernière partie de son ouvrage, Bernard Guetta souligne les problèmes structurels actuels de l’Union européenne. Conçue à son origine pour une organisation à six pays, les institutions actuelles sont “essoufflées” à vingt-sept et “elles ne pourraient plus du tout fonctionner avec quelque trente-cinq États membres”, écrit-il.
La situation politique induite par le conflit en cours semble renforcer les possibilités de futurs élargissements de l’Union européenne. Récemment, une des étapes les plus importantes du processus d’intégration de l’Union européenne a été atteinte par certains pays. En effet, l’Ukraine, la Moldavie ou la Bosnie-Herzégovine ont désormais le statut de pays candidats à l’accession à l’Union européenne.
Afin de répondre aux problèmes institutionnels d’une Union européenne élargie, Bernard Guetta envisage une “Europe à plusieurs vitesses”. Cette proposition d’une Europe à plusieurs vitesses n’est pas nouvelle. Plusieurs spécialistes préconisent des solutions similaires pour le futur de l’Europe. Bien que tous les pays membres ne soient pas d’accord sur la méthode, tout le monde admet l’inertie actuelle des institutions européennes et la nécessité d’y trouver une alternative. Ainsi, le sujet a déjà été abordé par les 27, en 2017.
Construite sur un rythme “allegro ma non troppo”, Bernard Guetta propose une structure fondée sur une “fusée à trois étages”. Des “passerelles” permettraient aux pays de passer d’un niveau à l’autre. Cette nouvelle organisation aurait l’avantage d’intégrer davantage de nations à l’Union européenne (premier étage). Elle permettrait également de renforcer et développer ses dispositions actuelles (deuxième et troisième étages).
Ainsi, Bernard Guetta nomme le premier étage, le “partenariat européen”. Intégrant les Balkans, l’Ukraine ou encore “une Turquie solidement démocratisée”, il consisterait en une zone de libre échange européen dont les nations adhéreraient aux valeurs fondamentales de l’Union européenne que sont notamment les principes de l’État de droit et de la Déclaration des droits de l’homme.
Le deuxième étage envisagé par Bernard Guetta est l’“union économique”. Il aurait pour objectif de rassembler les 27 pays composant actuellement l’Union européenne autour de la mise en place de politiques économiques communes sous condition d’une adoption généralisée de la monnaie unique, l’euro.
Le troisième et dernier étage serait celui de la “communauté européenne”. Il regrouperait “les six États fondateurs et d’autres” de l’Union européenne autour d’une politique étrangère commune, du développement d’une défense européenne et d’investissement dans les industries d’avenir.
Comme celles proposées auparavant, la proposition de Bernard Guetta doit faire face à certaines problématiques. Tout d’abord, comment faire accepter à certains pays membres de perdre de l’influence au sein de l’Union Européenne ? Ces derniers ont toujours été sur un pied d’égalité. Une Europe à plusieurs vitesses entraînerait vraisemblablement un déclassement de certains pays membres. De plus, comment conserver une unité européenne en ayant une intégration différenciée des pays ? Cette évolution de structure entraînerait une variabilité d’influence des pays de l’Union européenne. Les institutions européennes devraient être réorganisées et les décisions votées différemment.
Parallèlement, il est déjà possible de se demander si l’Europe, dans les faits, fonctionne réellement à une seule vitesse. Tandis que certains pays n’ont pas adopté l’Euro, d’autres n’ont pas intégré l’espace Schengen. Pourtant, ils sont tous membres à part entière de l’Union européenne. De plus, certains outils institutionnels permettent à des pays membres de s’abstenir (l’abstention constructive) ou de poursuivre une politique commune indépendamment d’autres pays membres (la coopération renforcée) au sein de l’Union Européenne.
Les 7 priorités européennes de Bernard Guetta
Parallèlement à une “Europe à plusieurs vitesses”, Bernard Guetta suggère une liste de sept priorités sur lesquelles il lui semble pertinent de travailler au cours des années à venir.
Tout d’abord, il envisage la mise en commun des moyens de lutte contre les catastrophes naturelles (incendies, tremblement de terre, etc.) à l’échelle de l’Union européenne. Ensuite, il souhaiterait la création d’industries d’armement européennes, le développement d’un “campus paneuropéen d’excellence” et l’établissement d’un “cyber gendarme européen”. Il suggère également l’élaboration d’un “pacte bleu” visant à protéger et défendre les océans du monde, la mise en place de politiques d’investissements communs dans les industries d’avenirs ainsi que le traitement de maladies tel que le cancer et, enfin, la “création d’un label Made in Europe et d’un Buy European Act” afin de mettre en avant et prioriser les productions européennes.