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Reconquête spatiale russe : les défis d’une militarisation accélérée de l’espace

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La Russie renforce depuis quelques années ses capacités spatiales offensives. Cette réalité traduit une extension réaffirmée de la compétition internationale dans l’espace, mais aussi un encadrement juridique insuffisant.

Un effort militaire spatial notable de la Russie

Le 25 novembre dernier, Moscou a lancé un satellite en orbite depuis le cosmodrome de Plessetsk afin de consolider son bouclier antimissile.

la militarisation de l'espace traduit un déplacement de la compétition stratégique
Plus qu’un appui aux opérations, l’espace devient théâtre de conflictualités

Historiquement pionnière dans la conquête spatiale, la Russie est l’un des premiers pays à en ériger une doctrine; en 1992, elle crée une force spatiale distincte de ses autres composantes militaires. Confronté à une compétition internationale portée par le New Space -nouveaux acteurs, technologisation onéreuse-, le pays opère aujourd’hui une vaste modernisation.

L’objectif de ciblage en est un axe prioritaire; il se manifeste par l’établissement de nouveaux centres d’observation depuis 2017. Le développement de satellites de reconnaissance fait aussi l’objet d’un programme, opérationnel d’ici 2024.

Les capacités antimissiles russes se sont également affirmées depuis 2011 : le programme d’inspection Nivelir, notamment, a été remarqué en  2019 lorsque l’un de ses satellites a approché le satellite américain KH-11 (USA 245).

Cette projection de la puissance russe s’opère dans un contexte de déplacement de la compétition stratégique des puissances vers l’espace.

Un contexte général d’« arsenalisation » de l’espace

L’emploi de moyens spatiaux à des fins militaires est un phénomène ancien. Amorcé dans les années 60 dans le contexte de la Guerre froide, il est devenu pour les puissances un facteur de souveraineté.

Afin de protéger les infrastructures, mais aussi de se doter de moyens d’actions, la puissance spatiale recouvre plusieurs domaines : l’observation, l’écoute, la surveillance ou la navigation. Elle comporte également des moyens plus offensifs tels la destruction de satellites par missiles (ASAT) ou par armes à énergie dirigée (lasers).

Rares sont cependant les puissances à posséder une doctrine spatiale et une capacité militaire intégrée. Seuls quelques pays ont également testé des technologies offensives de destruction de satellites : les Etats-Unis, la Russie, la Chine depuis 2007, ou encore l’Inde en 2019.

En Europe, nombre d’Etats modifient en conséquence leur doctrine spatiale; c’est le cas de la France, qui a lancé le 16 novembre dernier trois satellites d’écoute électromagnétique. Le pays prône une défense spatiale active depuis des suspicions de surveillance russe, en 2017, du satellite franco-italien Athena-Fidus. Les programmes ARES ou encore YODA (prévu pour 2030) visent à renforcer la surveillance, combinés aux moyens d’observation européens.

Face à une recrudescence des systèmes d’interception voire de destruction de satellites, quel cadre juridique international est actuellement en vigueur ?

Une législation internationale compliquée par les enjeux de souveraineté

Le 16 novembre également, la destruction d’un satellite hors d’usage au cours d’un tir d’essai russe a provoqué de nombreuses réactions internationales. L’évènement a notamment rappelé les problèmes sécuritaires des débris spatiaux ; en effet, seuls 6% des satellites hors d’usage les plus lourds ont été désorbités.

Le traité de l’espace de 1967, texte majeur régulant l’exploration et l’utilisation de l’espace atmosphérique, reste flou à ce sujet. Interdisant la prolifération des ADM dans l’espace, il n’empêche pas la militarisation qui s’y opère: l’usage des armes par destination, ou celui des armes cinétiques (opérant depuis la Terre), ne sont pas compris dans le traité.

Si des initiatives de régulation plus récentes existent (l’américaine Space Traffic Management, ou les accords Artémis), elles fédèrent encore trop peu pour permettre un encadrement adéquat.

En novembre dernier, la commission onusienne de désarmement et de sécurité a adopté de nouvelles résolutions pour l’espace. Si la perspective semble encourageante, elle reste limitée par de nombreux désaccords étatiques: ils se cristallisent sur la définition de l’« acte hostile » dans l’espace -et donc du droit de riposte-, ainsi que les modalités de contrôle.

Actuellement, la militarisation de l’espace semble donc moins encadrée par le droit que par la dissuasion; la méfiance suscitée par le développement du programme spatial iranien, dans le contexte tendu des négociations des accords de Vienne, en a récemment souligné la fragilité.

 

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