La Nouvelle-Calédonie ou le Caillou gaulois sur terrain de jeu anglo-américain (2/7)
Si la Nouvelle-Calédonie est devenue une colonie française, c’est avant tout en réponse à la domination globale des Britanniques au sein du Pacifique-Sud. Contrecarrer la montée en puissance incontestée des Britanniques et prendre part aux échanges commerciaux qui s’effectuaient au sein de cette région, telle était la volonté de Napoléon III, en faisant de la France une puissance maritime présente dans le Pacifique, à partir de 1853. Cela, pour le plus grand déplaisir des Britanniques.
La Nouvelle-Calédonie comme produit des rivalités franco-anglaises
La France, arrivée au paroxysme de sa puissance politique, économique et militaire, au début du XIXe siècle, s’était distinguée en tant que puissance tellurocratique, après avoir vaincu les Prussiens à la bataille d’Iéna le 14 octobre 1806. Le premier empereur français, génie politique, grand mathématicien était, en effet, un stratège militaire hors pair sur les champs de batailles terrestres. Il ne pouvait cependant pas se prévaloir de la moindre connaissance tactique, sur le plan naval. La marine était un domaine qui lui était totalement étranger.
A l’aube du XIXe siècle, la première puissance industrielle, commerciale et militaire n’était autre que la Grande-Bretagne. Elle s’était bâti un empire colonial allant de l’Inde à l’Australie. C’est ce qui, sous le Directoire déjà, motiva Napoléon à prendre la tête de la campagne d’Égypte. En effet, contrôler ce territoire aurait permis à la France d’acquérir la possibilité d’atteindre les Indes avant sa concurrente anglaise. Napoléon finit toutefois par voir sa flotte détruite en Méditerranée, par l’amiral anglais, Horatio Nelson, lors de la bataille d’Aboukir, le 1er août 1799. Il en fut de même, en 1805, à l’occasion de la bataille de Trafalgar. Une fois de plus, Napoléon s’était aventuré à combattre les Britanniques sur les eaux. Cet événement inscrivit définitivement l’Angleterre au rang de première puissance navale et commerciale, jusqu’en 1914.
De ce fait, si l’Allemagne resta l’ennemi irréductible de la France, en tant que puissance terrestre concurrente, la Grande-Bretagne, en tant que puissance navale, resta l’adversaire traditionnel de la France. C’est donc mu par cette logique qu’en 1853, Napoléon III fit de la Nouvelle-Calédonie une colonie française. Cette dernière était située en une zone géographique dominée par l’empire britannique. En effet, la Couronne d’Angleterre avait fait siennes les terres d’Australie et de Nouvelle-Zélande. Les missionnaires catholiques français installés sur la principale île de l’archipel néocalédonien se voyaient concurrencés par l’influence grandissantes des évangélistes anglais.
De plus, depuis 1810, sont également présents, dans la région, des marins français. Ils faisaient office d’intermédiaires, entre la population kanake et les commerçants britanniques. Désormais, ces marins français souhaitaient, eux-aussi, prendre part aux échanges commerciaux dont le Pacifique Sud était le théâtre.
Dix ans plus tard, à partir de 1863, consécutivement à la très grande mortalité qui sévissait en Guyane française, la Nouvelle-Calédonie commença à servir de nouveau bagne français. Suite à la Commune de Paris de 1871, les autorités françaises y envoyèrent, entre autres, la communarde Louise Michel, en 1873. Ainsi, très rapidement, cet archipel fit office de colonie de peuplement, après que les Français eurent fondé la ville de Nouméa, en 1854.
La Nouvelle-Calédonie comme arme de guerre économique au temps de la révolution industrielle
Aussi, faut-il encore mentionner le fait que les sous-sols de la Nouvelle-Calédonie sont riches en nickel. Ce n’est toutefois pas, comme expliqué précédemment, ce qui a initialement motivé la France à coloniser ce territoire ultra-marin. Cependant, le XIXe siècle fut celui de la révolution industrielle. De ce fait, la présence de cette matière première, découverte par l’ingénieur français Jules Garnier en 1854, mais également de chrome, de cobalt, de fer, de cuivre et de manganèse, augmenta d’autant plus l’importance stratégique de la Nouvelle-Calédonie.
Ainsi, en 1880, Jules Garnier, associé à l’homme d’affaires français d’origine irlandaise John Higginson, et à l’exploitant de mines, Jean-Louis Hubert Hanckar, venu depuis l’Australie s’installer en Nouvelle-Calédonie consécutivement à la découverte de nickel néocalédonien, fonda la Société Le Nickel (SLN). Après la cession des titres de Hingginson aux Rothschild, la SLN imposa un quasi-monopole sur le territoire néocalédonien en matière d’exploitation minière.
Lorsqu’au XXe siècle éclatèrent les deux Guerres mondiales, celles-ci impactèrent économiquement, politiquement, culturellement et démographiquement parlant la population néocalédonienne. Premièrement, celle-ci fut mise militairement à contribution afin de garnir les rangs de l’armée française, à partir d’août 1914. À cela s’ajoute l’interruption des relations maritimes entre l’archipel et la métropole. Ce qui, par extension logique, diminua les relations commerciales entre les deux entités politiques. La vie quotidienne se voyait donc affectée par une pénurie de nombreux produits d’utilisation courante. Tout cela sur fond de tensions socio-ethniques, face à la réaction identitaire d’une part importante de la population indigène. Pour cause, cette dernière, en sus de subir la rareté de plusieurs biens de consommation quotidienne, voyait de nombreux tirailleurs kanaks périr dans une guerre qui, fondamentalement, ne les concernait pas.
La récession qui débuta en 1929 aggrava d’autant plus la situation économique désastreuse et peu diversifiée de l’archipel. En effet, celle-ci reposait, et repose toujours quasi exclusivement sur l’exploitation minière. Ce qui conduisit un grand nombre de colons Français établis en Nouvelle-Calédonie à s’exiler. Une autre partie resta sur place. Elle évolua, toutefois, au sein d’un territoire, que la Grande Guerre ainsi que le krach de 1929 avaient d’autant plus isolé. Son mode de vie et d’expression tendait à se distinguer de ceux des Français de métropole. Ce qui n’empêcha pas, cependant, aux Néocalédoniens, autochtones ou originaires de la métropole, de faire allégeance à la France libre, lors de l’occupation allemande. Ils formèrent notamment le bataillon des guitaristes. Ce dernier s’illustra sur différents champs de batailles au Proche-Orient et en Afrique du Nord.
La Nouvelle-Calédonie découvre l’Amérique
Aussi, riche en matières premières, la Nouvelle-Calédonie pouvait-elle potentiellement servir l’effort de guerre japonais. De surcroit, elle pouvait également servir de point d’appui stratégique au service de l’armée nippone pour menacer l’Australie. À partir de l’année 1942, le Pacifique devint donc un théâtre de guerre d’autant plus important. En effet, en réaction à l’attaque de Pearl Harbor du 7 décembre 1941, dix-huit mille soldats américains arrivèrent à Nouméa, le 12 avril 1942. C’est ainsi que la culture et l’influence américaines s’implanta en Nouvelle-Calédonie. Pour les Américains en lutte contre l’expansion nippone au sein du Pacifique, l’archipel calédonien devint une base de commandement. De ce fait, des camps d’entraînements, des hôpitaux et des aérodromes furent mis en place, entre 1942 et 1946. C’est donc aux Américains que la Nouvelle-Calédonie doit une bonne part de ses infrastructures notamment hospitalières et militaires.
En somme, la Seconde Guerre mondiale fut donc l’événement qui mit en contact la culture néocalédonienne et la culture américaine. La Nouvelle-Calédonie était en situation de pénurie. Les Kanaks échangèrent donc d’autant plus volontiers, avec les soldats américains, fruits et légumes contre produits nouveaux tels que coca-cola, whisky et cigarettes. Ces derniers, d’ailleurs, après leur victoire sur l’armée japonaise, ne quittèrent jamais véritablement le Pacifique. Tout comme il ne quittèrent jamais véritablement non plus l’Europe, après le débarquement de Normandie. La base militaire américaine de Ramstein, en Allemagne, en est l’une des preuves les plus saillantes.
Dès lors, Washington était le principal arbitre des relations internationales dans la région Pacifique. Rendre cet état de fait pérenne, telle allait être l’une des préoccupations principales des Américains, dans le monde post-1945.
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Sources:
- Laïdi, Ali, 2016, Histoire mondiale de la guerre économique, Perrin
- https://www.mncparis.fr/uploads/histoire-02-2020_1.pdf
- https://www.lhistoire.fr/la-nouvelle-cal%C3%A9donie%C2%A0-%C2%AB%C2%A0une-colonisation-pas-comme-les-autres%C2%A0%C2%BB