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Anatomie d’un coup d’État : étude de cas au Niger (4/4)

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Après le renvoi des troupes françaises décidé par Niamey, l’hypothèse d’un « sentiment anti-français » n’est pas suffisante pour comprendre la situation au Niger. Il est tout autant important de se questionner sur les raisons de ces multiples coups d’État depuis 2021.

L'Union africaine (UA) a eu une gestion différenciée des différents coups d'État.
L’Union africaine (UA) a eu une gestion différenciée des coups d’État.

Les « coups d’État constitutionnels » en cause

Les causes expliquant ces nombreux coups d’État, depuis 2021, sont diverses.

Tout d’abord, une désastreuse gestion des ressources, la corruption et une mauvaise gouvernance sont des comburants quasiment indispensables conduisant à rendre inflammable une situation politique, jusqu’à un éventuel coup d’État.

Les réformes constitutionnelles ou « coups d’État constitutionnels » visant à prolonger les mandats présidentiels sont d’autres facteurs. La Côte d’Ivoire, le Togo ou encore le Sénégal ont récemment connu de tels épisodes, avec « succès » pour les deux premiers pays cités.

Les violations flagrantes dans l’application de certaines constitutions entrent également dans cette catégorie. Le Tchad en est un exemple frappant : le président du Sénat aurait dû être président par intérim, à la suite du décès de feu Idriss Déby Itno (comme le prévoyait la Constitution tchadienne). Cependant, le fils du président, Mahamat Idriss Déby, s’empara du pouvoir.

Ensuite, une autre cause touche aux élections truquées : malgré la présence d’observateurs internationaux, censés attester de la bonne conduite des processus électoraux, cela n’a pas empêché des bourrages d’urnes favorables à certains dirigeants alors au pouvoir. Ceci a conduit au coup d’État du Gabon, en 2023.

Enfin, la détérioration de la situation sécuritaire est une troisième explication, comme observée au Mali, au Burkina-Faso ou au Niger.

En Guinée-Conakry, au Niger et au Gabon, ce sont les corps d’élite (les gardes présidentielles) qui ont mené les coups d’État.

Le « deux poids, deux mesures » des institutions du continent

Enfin, il existe un réel ressentiment colonial et une volonté de « dégagisme » des pays considérés comme impérialistes et s’ingérant dans les affaires intérieures. Au Mali, au Burkina-Faso et au Niger, l’échec des interventions occidentales dans la lutte contre le djihadisme alimente cette volonté de reprendre la main, souverainement. Les putschistes ont usé de ce ressentiment pour asseoir leur légitimité populaire et devenir les chantres d’une nouvelle forme de « panafricanisme ».

Les différences de traitement entre les coups d’État au Sahel et celui du Tchad interrogent. Les coups d’État constitutionnels semblent également bénéficier de la clémence des institutions régionales (CEDEAO en tête) et de l’Union africaine (UA). Le Mali, le Burkina-Faso, la Guinée et le Niger ont été sévèrement sanctionnés, quand le Tchad a pu déroger à sa Constitution sans aucune sanction de l’UA. Ce « deux poids, deux mesures » des institutions participe à la perte de leur légitimité.

Le Togo a été un acteur important dans la tentative de médiation entre le Niger et la CEDEAO. C’est une manière, pour les autorités togolaises, d’obtenir du prestige à l’international. Néanmoins, en interne, la (nouvelle) réforme constitutionnelle de 2024 prévoit un changement de régime et un renforcement des pouvoirs de l’exécutif et ce, sans concertation avec l’opposition ou même les citoyens.

Depuis l’élection de Bassirou Diomaye Faye au Sénégal, ce dernier tente également de négocier avec Niamey afin que les États de la Confédération des États du Sahel (AES) reviennent dans la CEDEAO.

Conclusion

Le 29 janvier 2025, les États de l’AES se retirèrent officiellement de la CEDEAO. Afin de renforcer leur coopération, l’AES a émis un passeport biométrique fonctionnant au sein de ces trois pays.

Cette sortie de la CEDEAO est un signal fort adressé par l’AES. Tant la CEDEAO que l’AES souhaitent toutefois que des solutions pratiques soient trouvées pour les populations et les échanges commerciaux.

L’AES est une forme originale d’organisation régionale africaine car elle concerne des pays ayant des problématiques similaires. Cela peut être une direction à suivre pour les autres organisations régionales du continent. À savoir, une structure avec un faible nombre d’États mais avec davantage d’engagement, une forme de « minilatéralisme ».

L’élaboration d’un plan commun de lutte contre le terrorisme au niveau régional et continental serait opportune, tant par l’UA que par la CEDEAO. La mutualisation des moyens pour atteindre cet objectif assurerait une véritable et pérenne stabilité sécuritaire, préalable à un développement économique serein. Un tel changement de situation permettrait également une plus grande protection des droits et libertés des peuples.

La carence des États à établir des services publics viables et à assurer la sécurité constitue une véritable menace de déstabilisation. Les défauts de gouvernance et l’incapacité des dirigeants politiques à mettre en œuvre les réformes dûment attendues par leurs citoyens resteront comme des éléments à même de faire basculer les structures étatiques et démocratiques.

Le rôle de l’UA est ici crucial. Afin d’être une authentique et incontestable autorité morale et politique en Afrique, elle se doit d’appliquer ses normes uniformément et ce, sur tout le continent. Sa capacité d’action pourrait lui permettre d’observer plus finement les situations politiques, les anticiper et agir efficacement pour prévenir les coups d’État (ou les sanctionner, le cas échéant).

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Cédric GOUDEAGBE

est diplômé d'un Master 2 en droit public, mention défense et sécurité. Intéressé par les relations internationales, les questions de défense et l'Afrique.

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